L’accord était presque parfait

par | 9 avril 2014 | Actualités, Adolescence, Blog, Éducation, Jeune enfant, Nouveaux médias

J’étais hier soir invité chez des amis, et parmi les autres convives, il y avait un enseignant préoccupé, comme moi, de la crise de l’enseignement et de l’introduction des technologies numériques à l’école. C’est avec plaisir que j’ai trouvé chez lui le même souci de relativiser les technologies numériques, de les considérer comme de simples outils et de faire passer en priorité l’adaptation de l’enseignement au nouvel état d’esprit des élèves. Et mon bonheur a été complet lorsque nous sommes tombés d’accord sur l’indispensable articulation logique des connaissances. Nous avons échangé des anecdotes sur la difficulté rencontrée aujourd’hui par beaucoup d’élèves à construire un discours, aussi bien parlé qu’écrit, utilisant correctement les diverses articulations de la langue résumées dans la formule fameuse : « Mais où est donc Ornicar ? ».

Nous arrivions au dessert quand nous avons abordé les moyens dont les enseignants disposent pour modifier leur enseignement de manière à rendre aux élèves français une qualité de performance qui semble, si on en croit les grandes études internationales comparatives, de plus en plus leur faire défaut. Nous avons parlés des fameux MOOCs, ou cours massivement ouverts en ligne, et de la classe inversée. Cet enseignant m’expliqua alors les difficultés qu’il rencontrait avec ses élèves de terminale toutes les fois où il leur demandait de préparer des sujets et de les présenter en classe. Pire, ses élèves lui demandaient qu’il leur dicte ses cours ! Et c’est là que nos chemins divergèrent. Pour cet enseignant, cette demande des élèves résultait du fait qu’ils avaient été trop souvent confrontés, au cours de leur scolarité, à des enseignants qui voulaient les faire participer.

Ma position est radicalement inverse : je pense que ses élèves lui demandaient de leur dicter des cours parce que c’est l’unique forme d’enseignement qui leur avait toujours été proposée, et la seule qu’ils pouvaient donc envisager. Un peu comme des enfants qui auraient toujours mangé la même nourriture et n’en voudraient pas d’autres. Il faut en effet bien mal connaître les enfants et les adolescents pour penser qu’ils puissent ne pas avoir de plaisir à réfléchir et à s’exprimer. Des études actuelles montrent que le plaisir de résoudre une tâche à sa gfaçon existe même chez les singes supérieurs ! C’est ce qu’on appelle la motivation intrinsèque. Le problème est que cette capacité se laisse facilement assassiner par la routine. D’ailleurs, tous les enseignants qui pratiquent la classe inversée le disent : au début, lorsqu’ils proposent pour la première fois cette organisation du travail à leurs élèves, ceux-ci ont plutôt tendance à la refuser. La routine du cours magistral s’est déjà imprimée en eux comme une forme de servitude qu’ils n’ont pas d’abord choisie, mais à laquelle ils se sont habitués comme à un mal nécessaire. En plus, y renoncer les oblige à porter un regard tellement critique sur l’ensemble du système scolaire qu’ils ont traversé précédemment que, à la force des habitudes, s’ajoute l’angoisse de découvrir que les formes d’enseignement autoritaire qu’ils ont subi ne se justifiaient pas. Ils veulent continuer à penser que l’enseignement traditionnel qui leur a été dispensé jusque là n’était certes pas plaisant, mais qu’il était nécessaire. Accepter la classe inversée, c’est aussi être capable de faire ce deuil. Et beaucoup d’enfants résistent… On les comprend. Cela veut dire que la classe inversée ne peut fonctionner que si l’enseignant en est suffisamment convaincu pour permettre aux enfants de passer outre à des réticences qui ne sont pas seulement le résultat de mauvaises habitudes, mais aussi de la fidélité à des modes d’enseignement auxquels ils ont fini par adhérer en pensant qu’il n’y en avait pas d’autres possibles.

Bref, la classe inversée n’est pas seulement aujourd’hui une méthode pédagogique nouvelle, c’est aussi une manière d’éveiller les enfants à un monde différent. Plus les enseignants attendront pour y confronter leurs élèves, et plus ils se heurteront de leur part à des réticences. C’est donc dès la maternelle qu’il faut commencer !