Retour d’Arles, à la recherche de la photographie qui n’existe plus

par | 17 juillet 2015 | Actualités, Blog, Peinture / Sculpture, Photographie

Décidément, les Rencontres Internationales de la Photographie qui se tiennent chaque année à Arles se suivent et ne se ressemblent pas. Par exemple, la nécessité de distinguer un tirage contemporain d’un vintage – autrement dit un tirage d’époque – n’est plus évoquée par personne aujourd’hui bien qu’elle ait semblé fondamentale il y a dix ans. Alors que dans le moindre musée, la plupart des œuvres du passé sont accompagnées de précisions techniques sur les conditions de leur réalisation – on nous explique ce qu’est une fresque, que tel bleu du ciel a nécessité du Lapis lazuli, ou même qui a commandé l’œuvre et combien elle a été payée -, la photographie semble miraculeusement se suffire à elle-même. Rien sur l’appareil utilisé, rien sur les logiciels de retouche, rien sur le type de papier ou de support utilisé, et rien, bien entendu, sur le commanditaire de la photographie… quand il y en a un. Alors que les photographes réclament le statut d’artistes à part entière, ils s’exemptent des précisions de plus en plus intégrées en peinture et en sculpture. Mais la contradiction n’est qu’apparente.

Une stratégie de conquête

La stratégie des photographes et des galeries pour imposer la photographie emprunte deux chemins complémentaires. Le premier est le gigantisme des tirages, qui les rend aussi impropres aux pièces de nos appartements que le David de Michel-Ange, ce qui a évidemment pour conséquence de leur désigner comme seul espace possible les salles des musées (au moins pour les photographes américains et européens en voie d’américanisation, car les Japonais continuent à apprécier les petits formats qui cadrent parfaitement avec leur culture de la miniaturisation).
Le second moyen utilisé pour imposer la photographie comme une pratique artistique majeure consiste dans le déni de la place qu’y prend la technologie. A Arles, tout se passe comme si les photographies sortaient de la tête de leurs créateurs sans aucune médiation technologique. Un déni directement proportionnel à l’importance qu’elle y prend en réalité ! Car une photographie peut se faire de bien des façons. Aujourd’hui par exemple, on peut prendre une image avec un appareil numérique, mais aussi poser l’appareil par terre et le laisser prendre des centaines d’images seul, agrandir un détail de l’une d’entre elles, le scanner, en faire une nouvelle image qu’on peut ensuite par exemple photographier à la chambre, et ainsi de suite. Et c’est justement la richesse et la complexité de la création assistée par des outils photographiques qui incite les photographes à en minimiser l’importance de manière à réduire leurs différences avec les artistes traditionnelles auxquels ils tiennent à être assimilés, dans le but bien compréhensible de voir leurs œuvres financièrement alignées sur le prix de celles-ci.

Un moyen d’indexation simple et rapide

Il est vrai que certains amateurs de photographie n’ont pas envie de connaître les multiples manipulations technologiques qu’ont subies les photos qu’ils regardent ou qu’ils s’apprêtent à acheter. Mais d’autres en sont curieux. Et ajoutons qu’apporter des informations ne permet pas seulement de satisfaire ceux qui en attendent, mais de donner envie à ceux qui n’avaient jamais imaginé en bénéficier de découvrir le parti qu’ils peuvent en tirer
C’est pourquoi j’ai proposé en 2010 (dans Petites Mythologies d’aujourd’hui, ed. Aubier) que chaque photographie soit indexée par un ensemble de six ou huit lettres. Les deux premières apporteraient des précisions sur le mode de prise de vue, à savoir PA pour une prise de vue argentique et PN pour une prise de vue numérique. Les deux suivantes informeraient sur le mode de retouche : RA pour la retouche argentique et RN pour la retouche numérique. Enfin, deux lettres informeraient sur le tirage : TA pour un tirage argentique et TN pour un tirage numérique. Ainsi, par exemple, une photographie prise avec un appareil argentique, puis numérisée pour être retouchée et bénéficiant finalement d’un tirage numérique serait référencée PA-RN-TN, tandis qu’une photographie prise avec un appareil numérique, retouchée sur écran, puis re-photographiée avec un appareil argentique et bénéficiant finalement d’un tirage argentique serait référencé PN-RN-PA-RA-TA. Les manipulations dont certaines photographies sont aujourd’hui l’objet pourraient même associer dix lettres….

La photographie est morte, vive le numérique

Est-ce difficile ? Oui, assurément ! Mais la difficulté n’est pas technique puisque chaque photographe sait parfaitement ce qu’il fait, et elle n’est pas non plus pratique puisque ces quelques lettres ne prennent pas beaucoup de place ! La difficulté principale serait de faire admettre de telles indications à un marché de la photographie qui s’accommode parfaitement du flou entretenu autour des conditions de fabrication, de retouche et de tirage d’images, dans la mesure où ce flou entretient la fiction d’une permanence de ce qui serait un « art photographique ». La réalité est bien différente : « la » photographie comme pratique définie par un nombre limité et contraint d’opérations technologiques (prise de vue, développement des films et tirage) a cédé la place à une multitude de pratiques métissées, y compris ces nouvelles « photographies » animées visibles couramment aujourd’hui à Arles et dans les galeries, autrement dit des… vidéo. Alors que la peinture et la sculpture gardent toute leur originalité à l’ère numérique, la photographie se dissout totalement dans la démultiplication des technologies qui y sont associées. Elle a laissé la place à de multiples images qui n’ont plus d’autre point commun entre elles que le marché qui tient à en maintenir la fiction…