Sciences humaines: une atmosphère de concurrence malsaine

par | 21 février 2014 | Actualités, Blog, Culture

Certains chercheurs en sciences humaines semblent saisis aujourd’hui par une véritable boulimie de rejet de la discipline qui a longtemps dominé ce champ, à savoir la psychanalyse. Il ne s’agit plus pour eux d’exposer ce qu’ils pensent, ou pensent avoir démontré, mais de le faire en dénonçant à chaque fois les « erreurs grossières » que les psychanalystes seraient accusés d’avoir trop longtemps véhiculé. Il ne s’agit évidemment pas de prétendre que les analystes ne se sont jamais trompé – je n’ai personnellement jamais raté une occasion de commencer à dresser un bilan critique des apports freudiens -, mais de comprendre ce que cherchent ceux qui disent qu’elle a toujours eu tort.

Prenons un exemple. La psychanalyste Françoise Dolto est aujourd’hui vivement critiquée par certains sous prétexte qu’elle aurait voulu établir une société du « tout désir » et de la « satisfaction immédiate ». Elle aurait eu ainsi une influence toxique sur des générations de parents et de psychologues, et serait même grandement responsable de la société du « tout, tout de suite » et de l’ensemble de ses effets pernicieux. En même temps, ceux qui la condamnent, et qui se réclament en général du cognitivisme, prônent l’apprentissage de la tolérance à la frustration, indispensable pour grandir et vivre en société. Contre Dolto, ils argumentent la nécessité de différer la satisfaction immédiate, et d’apprendre à rêver ses désirs pour mieux accepter les indispensables frustrations de la vie sociale.

Soit, mais le problème est que c’est exactement ce que prônait Françoise Dolto! Qu’on se souvienne notamment du concept de « castration symbolique », dont on peut regretter la formulation maladroite, mais dont le sens était sans ambiguïté: il faut savoir refuser à l’enfant la satisfaction de certains désirs afin de lui apprendre à les parler pour l’introduire à l’ordre du langage. Ceux qui connaissent un peu la psychanalyse auront aussi reconnu là une idée majeure de Freud: la nécessité pour l’être humain de renoncer à ses exigences immédiates et à la satisfaction totale de ses bons plaisirs pour entrer dans le processus de civilisation.

Bref, le paysage médiatique des sciences humaines est malheureusement aujourd’hui bien souvent occupé par des thérapeutes et des théoriciens qui sont moins soucieux d’apporter des idées nouvelles que de le faire croire. Certains d’entre eux disent en toutes occasions que « la psychanalyse s’est trompée », quitte à lui faire dire ce qu’elle n’a jamais dit, tandis que d’autres, plus rusés, se contentent de reprendre certaines de ses idées sans jamais rien citer de ce qu’ils lui doivent : ils font comme si tout commençait après elle.
Mais mettons nous à la place de ceux qui rejettent la psychanalyse. Elle a posé tant de concepts novateurs et exploré tant de territoires depuis cinquante ans qu’il est aujourd’hui bien difficile de ne pas la croiser sur son chemin quand on cherche à approfondir une notion. Alors, que reste-t-il à faire à ceux qui, viscéralement, parce que c’est bien de cela dont il s’agit, la refusent ? Il ne leur reste plus qu’à dire ce qu’elle a dit… en feignant d’ignorer qu’elle l’a dit, ou en essayant de faire croire qu’elle a dit le contraire.

Dans les deux cas, peu importe que le mensonge soit énorme. Nous vivons de plus en plus dans une société sans mémoire. Le paradoxe est que ces thérapeutes qui s’acharnent à condamner la psychanalyse, ou qui n’en parlent jamais en espérant la faire disparaître plus vite, sont parfois les mêmes qui dénoncent les conséquences désastreuses de l’ignorance du passé…