« Real Human »: quel avenir pour la relation homme-robot?

par | 21 août 2013 | Actualités, Blog, Robots

Une série cartonne à la télé : Real Human (traduit en français par 100% humain ). Elle nous raconte ce qui pourrait bien se passer lorsque les humains auront mis au point des robots capables de faire, sans aucune erreur, toutes les tâches pour lesquelles ils auront été programmées, y compris la conversation et l’amour. Alors ces machines ne bouleverseront pas seulement nos vies quotidiennes, mais aussi l’idée que nous nous faisons de notre propre vie psychique et de notre humanité.

Une vie psychique de plus en plus déléguée à des systèmes externes

Après les technologies qui ont pris en relais les diverses capacités physiques de l’homme, puis ses capacités opératoires, nous entrons, avec le numérique, dans une époque où elles prennent en relais l’ensemble des possibilités psychiques humaines, aussi bien individuelles que collectives. Et cette évolution oblige à franchir une nouvelle étape dans l’approche de la vie psychique. La première a été bâtie par Freud qui a mis au centre de ses préoccupations les représentations mentales et leurs diverses destinées relevant des conflits entre instances psychiques. La seconde a pris en compte le social, le groupe et l’ensemble des apprentissages opérants, d’abord dans l’éducation, puis dans les thérapies d’inspiration cognitive. Avec les objets technologiques autonomes, le problème central devient la délégation de représentations et d’instances à des systèmes externes. Un inventaire s’impose, afin d’examiner quels concepts peuvent nous être utiles.

Les technologies numériques prolongent l’esprit comme l’outil prolonge la main

Ce sont d’abord les travaux de Leroi-Gourhan et de Simondon. Le premier nous a appris que c’est le geste et la parole, en tant qu’émanations du corps, qui s’incarnent dans tous nos objets technologiques. La technique apparaît alors comme une poursuite du mouvement du vivant par d’autres moyens que la vie. Quant à Simondon, il a mis en évidence le travail d’individuation (nous dirions aujourd’hui de « subjectivation ») lié à nos usages des objets technologiques, et la façon dont ce travail est à la fois individuel et collectif. Il est individuel car la relation que chacun entretient avec les technologies qu’il utilise dépend autant de l’usage qu’il en fait que des possibilités que leurs concepteurs en ont prévu. Et il est en même temps collectif du fait des nombreux liens entre individus que l’appropriation collective des technologies favorise. Chacun ne s’individualise psychiquement que par l’intermédiaire des milieux techniques par lesquels les différents individus se relient entre eux de façon à former un collectif. L’homme s’invente en inventant l’outil et la dimension socio-affective à nos objets technologiques est considérable.

Quelle place pour la psychanalyse?

Et la psychanalyse? La relation que chacun entretient avec les technologies qu’il utilise dépend autant de ses désirs inconscients que de ses apprentissages et des possibilités que leurs concepteurs ont prévu, car les technologies numériques ont largement ouvert la voie aux détournements divers. Parmi tous les concepts analytiques proposés depuis un siècle, lesquels nous sont utiles pour bâtir cette nouvelle science de nos relations à des machines auxquelles nous délèguerons de plus en plus des parties de nous mêmes? C’est un chantier considérable qui s’ouvre à nous. Contentons nous d’en poser un jalon. Il s’agit de la tendance de l’appareil psychique à externaliser ses contenus. Reprenant l’idée de Freud selon laquelle la conscience se forme à la périphérie l’appareil psychique, Imre Hermann a constaté que les conflits entre instances psychiques sont volontiers projetés à la périphérie de notre corps, où il se traduisent par des tensions ou des douleurs. A sa suite, faisons un nouveau pas: après avoir produit la conscience comme une couche périphérique du système psychique, l’esprit humain continue à déléguer aux divers objets qu’il fabrique – concepts, images matérielles et objets technologiques – à la fois ses instances (à commencer par son surmoi), ses désirs inconscients et ses processus secondaires. Toute la question est alors de savoir dans chaque cas s’il le fait pour mieux se connaître, anticiper son devenir… ou se débarrasser de parties de lui-même qu’il préfère ignorer, voire qu’il n’a jamais voulu connaître. Externaliser n’a pas la même signification qu’excorporer, et ces deux mots ont eux-mêmes une signification différente que projeter.