Voir aussi : https://youtu.be/ouAZZhPXZXk
L’injonction de rester jeune éternellement, ou tout au moins de le paraître, alimente un marché colossal de produits cosmétiques et de prestations chirurgicales en tous genres. Mais chacun finit fatalement par devenir « vieux » un jour, même si pour les plus favorisés, c’est de plus en plus tard. La difficulté est alors de savoir comment s’en accommoder.
Trois stratégies
Une première façon de faire consiste à s’en remettre à la tradition. L’âge de la retraite correspond alors à l’âge du retranchement de la vie sociale. C’est la formule traditionnelle, avec le risque d’une chute, démontrée, des compétences cognitives et sociales.
Une seconde façon de gérer la situation est apparue avec la génération des « baby-boomers », c’est-à-dire des enfants nés dans l’immédiate après-guerre et qui ont été le moteur des bouleversements des années 1968. Grande est leur tentation de renouer avec leurs souvenirs, de rappeler qu’ils ont « fait Mai 68 », et de promettre d’investir dans leur nouveau combat la même énergie que celle qu’ils ont mise à faire bouillonner la société dans les années 1970. C’est oublier que la société française souffrait alors d’un clivage considérable entre les aspirations d’une majorité de la population et les règles imposées par la tradition, notamment dans le domaine des mœurs. Or on serait bien en peine de trouver le même clivage aujourd’hui. Bien sûr, il y a l’écologie et les ODD, mais ces aspirations ne sont pas portées par un enthousiasme joyeux comme en 1968. Il s’agirait plutôt de résignation face à des restrictions jugées indispensables.
Enfin, une voix moins tapageuse, mais plus réaliste, consiste à s’engager dans divers mouvements associatifs et collaboratifs. Les personnes âgées constituent aujourd’hui un contingent important de bénévoles dans de nombreuses structures. Leur présence y est d’autant plus appréciée que la tâche qu’ils accomplissent correspond le plus souvent au métier qu’ils ont pratiqué pendant des dizaines d’années.
Trois erreurs
Pour comprendre comment gérer sa vieillesse, partons des trois erreurs souvent commises à ce sujet.
La première erreur serait d’oublier l’hétérogénéité de cette population. Il existe en effet des personnes âgées exploitées, comme celles qui doivent payer des loyers exorbitants compte tenu de leur retraite, et d’autres exploiteuses qui n’appliquent pas les consignes de modération des loyers ou qui laissent leurs biens loués se dégrader.
La seconde erreur serait de penser la situation des vieux indépendamment des autres tranches d’âge. Il n’existe pas des intérêts des jeunes opposés à ceux des vieux, comme on l’a bien vu pendant la période du covid. Ceux qui ont demandé une levée des mesures de confinement afin que les jeunes puissent « vivre leur jeunesse » au risque que les vieux meurent un peu plus, ont manqué de penser la société comme un système d’interdépendance réciproque. En effet, au début de la pandémie, beaucoup de patients atteints du Covid entraient en insuffisance respiratoire grave et nécessitaient une hospitalisation en réanimation. Or ces services sont indispensables pour mener à bien la moindre intervention chirurgicale, que le patient soit jeune ou vieux, et que la cause en soit une maladie ou un traumatisme. Plus de vieux contaminés, c’était donc aussi moins de jeunes accédant aux soins dont ils avaient besoin, qu’elle qu’en soit la raison.
Enfin, la troisième erreur consisterait à penser qu’il existe une sorte de « remède du bien vieillir » applicable à partir d’un certain âge. En effet, on vieillit à tout âge, et si le vieillissement du corps et celui qui nous pèse le plus, à la fois en termes d’image et de limites grandissantes apportées à nos capacités physiques, ce sont bien souvent nos limites mentales qui affectent le plus notre entourage. S’il existe un « manuel du bien vieillir », il concerne donc toute la vie puisque notre cerveau, comme notre corps, commence son vieillissement à partir de notre 25e année. Ces recettes sont connues : cultiver notre plasticité psychique en nous entourant notamment de gens différents de nous et différents entre eux.
Une souffrance partagée faite de cas toujours uniques
Finalement ce qui menace le plus la vieillesse, c’est de la penser comme un état de la vie qui nécessiterait une attention particulière. Bien sûr, il existe plus de personnes âgées dépendantes que de jeunes ou d’adultes dans la même situation, mais ceux-ci existent, et les problèmes posés par leur prise en charge n’est pas fondamentalement différente. Il y a eu un temps où chaque vieux, dans son isolement, était menacé de se replier sur lui-même. Avec Internet, le risque est que les vieux, dans la conscience qu’ils ont de leur nombre est souvent de leur santé, se replient sur eux-mêmes en tant que groupe.
En effet, la résilience d’une population est largement fondée sur cette interdépendance des diverses couches de la population. La société est un système constitué d’éléments imbriqués, depuis le plus petit jusqu’au plus grand : les individus, les familles, les communautés, les régions, les pays jusqu’à la planète entière. Il n’y a pas de résilience d’un groupe ou d’un système qu’on puisse opposer à un autre. Tout est co-résilience[1], c’est pourquoi l’important n’est pas que les personnes âgées se constituent en groupe autonome, mais bien plutôt qu’elles soient présentes partout pour faire valoir leurs intérêts convergents avec d’autres catégories de population, et leurs intérêts spécifiques.
Sur ce chemin, la difficulté est de pouvoir à la fois écouter les vieux parler de leur rapport personnel à la vieillesse et à la maladie sans renoncer pour autant à pointer les aspects sociaux de leur situation. Autrement dit, il est essentiel, dans la vieillesse comme dans la maladie, de considérer chaque personne âgée comme un cas unique sans cesser pour autant d’envisager la vieillesse comme un fait social, et donc politique.
[1] Voir Tisseron, S. (2007). La Résilience, PUF.