Le 4 octobre 2017, dans les salons de l’hôtel de ville de Paris, Madame Hidalgo, maire de Paris, a lancé le plan « Paris ville résiliente » soutenu par la fondation Rockefeller. Les conflits de qui avaient jusque-là bloqué une évolution que Londres avait entreprise dès 2005 se sont donc trouvés aplanis par la manne financière. Boris Cyrulnik, invité à la rencontre, a assuré la convergence absolue des mots et des concepts de la résilience collective avec ceux de la résilience individuelle. Mais est-ce si sûr ?
Paris, territoire résilient
La résilience sociétale prétend s’appuyer sur trois piliers. Le premier est constitué par les habitants eux-mêmes, en prévoyant notamment la création d’une réserve de citoyens volontaires formés et mobilisables en cas de crise majeure, mais aussi au quotidien, et en impliquant les habitants dans les choix locaux, ce qui avait été demandé depuis la création du Conseil Consultatif des Familles sous la première mandature socialiste à la mairie de Paris, mais qui s’était toujours opposé à l’hostilité des fonctionnaires en place. Le second pilier réside dans des infrastructures aménagées pour répondre aux grands défis du XXIe siècle, au premier plan desquels le réchauffement climatique (rien ne semble avoir été prévu concernant les centrales nucléaires qui se trouvent sur la Seine en amont de Paris). Enfin le troisième pilier concerne la gouvernance censée mobiliser l’intelligence collective et adapter son fonctionnement de façon collaborative avec les territoires environnants, notamment ruraux.
La résilience individuelle a aussi son trépied théorique, mais il est bien différent. Le concept, né dans les années 1960 aux Etats Unis et popularisé en France par les publications de Boris Cyrulnik, associe sous son influence, sur le territoire national, trois caractères fondamentaux. Tout d’abord, elle concerne exclusivement les traumatismes, ou si on préfère les chocs, en refusant d’envisager au même titre la possibilité d’une résilience face aux stress chroniques. Ce point fut l’objet d’âpres discussions lors du premier colloque sur la Résilience à Paris, où Boris Cyrulnik insista beaucoup pour exclure les stress du champ de la résilience, et même pour réduire l’usage du mot aux situations de traumatismes extrêmes. Ensuite, la résilience individuelle est définie comme la capacité de se reconstruire après un traumatisme en se faisant une « vie meilleure », ce qui exclue la possibilité de définir la résilience comme une résistance au traumatisme. Là aussi, ce point a été affirmé avec énergie dès le début. Enfin, la capacité de résilience de chacun étant censé relever essentiellement d’un entourage psychoaffectif précoce favorable, l’idée qu’on puisse apprendre la résilience apparaît absolument saugrenue aux tenants de la résilience individuelle.
Des divergences majeures
Or ce sont justement ces trois postulats que la résilience sociétale bat totalement en brèche. Tout d’abord, elle est définie comme la capacité des personnes, entreprises et systèmes au sein d’une ville à survivre, s’adapter et se développer quelles que soient les types d’événements chroniques et de crise aiguë qu’ils subissent. Les éléments de stress chronique comme la pauvreté, la malnutrition, les difficultés de logement, ou encore la pollution, y ont donc largement leur place.
Ensuite, la résilience dans sa définition collective intègre quatre dimensions d’importance équivalente : se préparer aux situations catastrophiques en les anticipant autant que faire se peut, tout en sachant que la catastrophe se présentera toujours avec des caractéristiques qui ne peuvent pas être toutes anticipées ; résister aux chocs, ; se reconstruire après eux de façon à assurer une meilleure résilience face aux aléas ultérieurs ; et enfin résorber les effets des traumatismes, ce qui implique une action auprès des victimes, en valorisant notamment leur capacité de se prendre en charge elles-mêmes et de changer collectivement leur destin.
Si on compare ces quatre caractéristiques à la définition de la résilience individuelle, on s’aperçoit de deux divergences majeures. D’une part, du point de vue des tenants de la résilience individuelle, la capacité de résister aux chocs ne fait pas partie de la résilience, alors qu’elle en est une composante essentielle dans la définition de la résilience collective. Et d’autre part, pour les tenants de la résilience individuelle, la capacité d’apprendre la résilience n’a pas de sens, alors qu’elle joue un rôle préventif majeur dans la définition de la résilience collective.
Aplanir les divergences, ou les faire oublier ?
On voit que les divergences entre la définition de la résilience individuelle et celle de la résilience collective ne sont pas minces : sur la place du stress chronique, sur la capacité de résister à un choc comme élément à part entière de la résilience, et sur la possibilité de l’apprendre. Leurs acteurs sont évidemment poussés à se rapprocher par des considérations stratégiques. Mais comment les tenants de la résilience individuelle made in Francevont-ils faire évoluer sa définition dans les mois et les années qui viennent, afin de rendre possibles des noces financièrement et médiatiquement prometteuses ? Au bout du compte, c’est probablement enfin une définition moins restrictive qui s’annonce. Il était temps. Mais comment se fera ce changement ? La tentation sera grande, pour les partisans de la résilience individuelle, de faire oublier ce qui leur a servi de boussole pendant quinze ans en se retranchant derrière la vague et commode affirmation que « les mots évoluent ». C’est bien parce qu’ils évoluent qu’il nous faut garder la mémoire des définitions que nous leur avons données par le passé, afin de témoigner des raisons pour lesquelles nous avons changé d’avis ! Il serait dommage qu’un vrai débat théorique n’accompagne pas ce changement inéluctable. La définition de la résilience individuelle, en France, a été trop longtemps dominée par des a priori. La mémoire des erreurs passées contribue aussi aux capacités de résilience !