La possibilité de se déplacer sans autorisation a constitué un soulagement pour tous. Mais l’enthousiasme engendre parfois des conduites à risques. C’est pourquoi il est bon d’organiser un retour progressif à la vie normale, comme s’il y avait un sas à franchir. Le fléchage au sol, la limitation de la fréquentation dans les magasins et l’invitation à porter un masque protecteur hors de chez soi répondent à cet objectif, afin que chacun retrouve progressivement le contact avec ce qu’il avait perdu. Mais sans oublier que cette sortie progressive du confinement s’accompagne d’une quadruple crise.
Une quadruple crise
La première de ces crises est évidemment économique. Beaucoup de professions indépendantes sont dans une situation extrêmement précaire, des entreprises risquent de fermer, beaucoup de gens craignent pour leur emploi.
La seconde de ces crises est sociale. Le confinement a mis à mal l’idée d’une union nationale en montrant qu’il existe en France deux catégories de personnes : ceux qui ont su s’adapter parce qu’ils bénéficiaient d’un capital en connaissance technologique qui leur a permis de profiter au mieux des possibilités offertes par le numérique ; et ceux qui n’ont pas su s’adapter, soit parce qu’ils n’en n’avaient pas les compétences avant la crise, soit parce qu’ils ont manqué de temps pour cela. Mais il est apparu aussi clairement que les métiers les plus indispensables à la survie du pays sont les moins valorisée et les moins payés. Ce sont en effet les catégories sociales défavorisées, mal payés, faisant les temps de transport les plus longs, qui ont soutenu la nation : les magasiniers, les routiers, les caissières, les infirmières, etc.
La troisième de ces crises est politique. Le confinement a malmené – et pour certains brisé – la confiance dans les institutions. Les mensonges du gouvernement sur l’utilité des masques et sur les capacités du pays d’en fournir, ont provoqué une perte de confiance dans les institutions qui ont pour vocation de protéger les citoyens. Il risque d’en résulter non seulement une colère importante, mais une remise en cause des institutions démocratiques sur fond de populisme.
Enfin, la dernière de ces crises est psychologique, et elle aggrave chacune des autres.
Une crise psychologique inédite
Il y a ceux qui ont été confrontés à des deuils rendus difficiles par l’interdiction de se rendre à l’enterrement, ceux qui ont perdu leur emploi ou qui craignent de le perdre, et ceux qui ne sont pas parvenus à concilier télétravail et accompagnement scolaire des enfants, au risque de s’en sentir gravement culpabilisés. Mais il y a eu aussi les travailleurs pour lesquels l’introduction brutale et sans préparation du télétravail a été vécue comme une catastrophe de plus.
L’obligation de travailler chez soi imposée sans préparation a conduit à des problèmes psychologiques que personne n’avait anticipés. Certains employés ont eu le sentiment d’être abandonnés brutalement à une gestion solitaire de leurs tâches sans bénéficier de l’aide habituelle de leurs collègues. Cela a été particulièrement important pour les jeunes travailleurs qui ont pu avoir l’impression de ne pas savoir à quel moment ils pouvaient s’adresser aux séniors. Il y a eu aussi chez certains le sentiment d’être surveillé en permanence par un manager. Surtout, beaucoup ont rallongé considérablement leur journée de travail aux dépens de leur vie personnelle et familiale, avec l’impression de ne jamais parvenir à remplir les objectifs fixés. Il en a résulté des risques accrus de burn out. Parfois aussi, les quiproquos et les conflits se sont tellement aggravés en distanciel que certains employés n’envisagent pas de retourner travailler au bureau : ils craignent de retrouver en présentiel certains collègues par lesquels ils se sont sentis malmenés, voire persécutés, en distanciel.
Sortir du confinement en rétablissant la confiance
Cette triple crise oblige à penser la sortie du confinement selon trois critères.
Elle doit d’abord être progressive,pour permettre une reprise économique secteur par secteur, éviter le rebond de l’épidémie et tenir compte des plus faibles qui doivent pouvoir reprendre à leur rythme. Les demandes de pouvoir continuer à travailler en distant ciel doivent être examiné au cas par cas. Elles peuvent relever tout autant de l’angoisse du retour en présentiel que du désir de continuer à profiter de certains avantages procurés par le travail à domicile
La reprise doit aussi être protectrice, et pour cela prendre en compte à la fois les fragilités et les vulnérabilités. Les premières sont plutôt de l’ordre d’une diminution des réserves physiologiques et psychologiques qui rend plus difficile l’adaptation à de nouveaux événements stressants, tandis que la seconde relève plutôt d’un état instable qui implique l’ensemble des conditions de vie habituelles indépendamment d’une usure liée à des circonstances exceptionnelles.
Enfin, la reprise doit être pertinente. Toutes les consignes données doivent être claires, étayées, applicables et pérennes, car il est essentiel de ne pas courir le risque de réactiver la mauvaise impression créée par les opinions contradictoires fournies successivement par le gouvernement, notamment autour de l’utilité des masques. Il est en effet essentiel de créer un retour à la confiance entre les pouvoirs publics, les experts et les citoyens, et cela implique une attitude et une communication de l’information parfaitement maitrisées.
Mais rien de tout cela ne pourrait être mis en place si nous ne commençons pas d’abord par réapprendre à vivre ensemble, vers un but partagé. Car pendant cette crise, beaucoup d’entre nous se sont focalisés sur eux-mêmes et accessoirement sur leurs proches. Le but est maintenant de réapprendre à créer du lien social.