Commençons par les mots, car leurs conséquences dépassent parfois les intentions de ceux qui les ont choisis. La crise du confinement a montré que l’éloignement physique ne s’apparente pas nécessairement un éloignement humain, autrement dit que l’expression « distanciation sociale » est tout à fait inadaptée. Parlons plutôt de « distanciation physique ». Quant à l’expression « gestes barrières », elle risque à tout moment d’être mal comprise, notamment par les enfants. Préférons l’expression « gestes de protection » qui évoque une protection de tous par chacun et de chacun par tous. D’autant plus que cette phase post catastrophe doit être utilisée pour continuer à fournir des informations sur les risques présents, mais aussi sur le retour possible des risques passés. Apprenons alors à les présenter positivement.
Mais surtout, la sortie de crise sera considérablement facilitée si chacun prend conscience de la brutalité avec laquelle le confinement a brisé dans beaucoup de cas des liens sociaux indispensables au bon fonctionnement d’une communauté.
Comment se retrouver ?
Si ce confinement a été une expérience exceptionnelle pour tous, il s’est accompagné pour chacun d’expériences très spécifiques. Il y a ceux qui ont pu télétravailler tranquillement à la campagne et ceux qui n’ont pas pu le faire parce qu’ils ont dû s’occuper du travail scolaire de leurs enfants, ceux qui ont connu des deuils, ceux qui ont souffert de maltraitance, etc. Or, pour être efficace, un atelier, un bureau ou une classe ne doivent pas être des collections d’individus, mais des communautés. Le modèle de contrat sociétal ne peut pas s’imposer par le haut, il doit se construire par le bas. La question principale au moment du retour de chacun est donc de savoir comment les personnes que ces deux mois ont éloigné les unes des autres peuvent se retrouver pour faire à nouveau un collectif de travail. Le risque est que là où existait précédemment un minimum de curiosité de chacun pour chacun, s’instaure un climat de clan : celui de ceux qui se sont réfugiés dans leur maison de campagne et cherchent une oreille compatissante à ce qu’ils ont vécu, celui de ceux qui ont perdu un proche et partagent leur amertume et leur douleur avec ceux qui sont dans la même situation, celui de ceux qui ont dû concilié leur propre télé travail avec l’obligation de faire l’école à leurs enfants et qui ont plutôt envie de s’échanger les modes d’emploi qu’ils ont bricolés au jour le jour, etc. A chaque fois, le sentiment que l’expérience vécue n’est partageable que par ceux qui ont vécu la même risque de s’imposer, et de transformer ce qui était avant la crise un atelier ou un bureau en une juxtaposition de groupes qui s’ignorent. Et cela d’autant plus que certains employés auront probablement continué à échanger en privé pendant la crise à travers les outils numériques, mais évidemment seulement avec ceux qui étaient auparavant les plus proches d’eux et partageaient probablement leur mode de vie, et que d’autres pourront avoir fait des efforts considérables pour continuer à travailler en distanciel et ne pas se sentir reconnus à la hauteur de ce qu’ils se sont imposés.
La reconnaissance des efforts de chacun est un préalable indispensable à la reprise professionnelle, ainsi qu’un soutien aux collaborateurs en difficulté, mais il est essentiel aussi de recréer un collectif : d’expliquer les éventuels nouveaux objectifs et de remettre en route l’intelligence collective. Afin de trouver un équilibre entre monde physique et monde digital.
Dans les communes, il est important de commencer à construire une mémoire commune. Cela ne peut se faire qu’en mobilisant des associations locales et en faisant confiance aux différentes initiatives régionales pour imaginer les solutions les plus adaptées à chaque situation.
Le défi de la reconstruction du climat scolaire
Bien que certains enseignants puissent estimer que l’urgence est de reprendre les cours au plus vite, il me semble qu’il serait utile d’inviter les enfants à réfléchir à ce qui est arrivé et à les faire participer à des efforts de mise en scène des attitudes et des gestes pouvant renforcer la culture de la sécurité dans la société. N’oublions pas que les enfants peuvent être de puissants supports de communication à l’intérieur des familles et même de prescription vis-à-vis de leurs parents. Les enfants devraient donc être mis à contribution pour imaginer des visuels.
Invitons alors les enfants à réaliser des dessins qui rappellent ces gestes. Cela constitue une bonne façon de les inviter à y réfléchir, et en mémoriser l’importance. Car la difficulté principale, s’agissant des gestes protecteurs et de la prévention en général, ne consiste pas à connaître les mesures de protection, mais à les mettre en pratique. Or ces dessins une fois réalisés peuvent être affichés partout dans l’établissement de telle façon que tous les enfants soient constamment renvoyés aux règles qui doivent maintenant les relier entre eux dans la recherche d’une protection commune.
C’est la même chose avec les masques. Ils peuvent être l’occasion d’en parler, d’en jouer, mais plus encore d’apprendre à déchiffrer dans les yeux de nos interlocuteurs leurs émotions et leurs sentiments. N’oublions pas en effet que notre culture privilégie la lecture des émotions par une attention concentrée sur la bouche, tandis que d’autres cultures, notamment la japonaise, privilégie plutôt le rôle des yeux dans l’expression et la communication des émotions. Plus l’enfant est petit, plus il est capable de réaliser ces deux déchiffrages en parallèle et de comparer les informations qui en résultent. L’éducation nationale préconise depuis 2016 l’apprentissage de l’identification des mimiques : le port du masque par les enfants est une occasion exceptionnelle d’attirer leur attention sur le rôle des yeux dans la rencontre émotionnelle.
Enfin, certains enseignants ont proposé d’inviter les enfants raconter leur confinement. Il me semble beaucoup plus important de les inviter à raconter, autour du confinement, un souvenir agréable. Il existe deux raisons à cela. La première est d’éviter qu’un enfant raconte une situation familiale pénible, comme des affrontements parentaux violents, ou une situation de décompensations psychiques de la part d’un parent. Il serait en effet alors très difficile à l’enseignant de gérer une telle situation. Nous ne disons pas qu’il n’est pas important pour un enfant de pouvoir parler d’une telle situation s’est lui arrivée, mais que ce n’est pas le rôle de l’enseignant de l’écouter : il existe des psychologues scolaires, et aussi, si la situation racontée le nécessite, le directeur de l’établissement. Mais la seconde raison pour inviter les enfants a raconté un souvenir agréable et plus important encore : n’oublions pas que raconter un événement à d’autres ne lui donne pas seulement une signification pour son ce proche, mais en fixe également le souvenir pour lui-même. Plus nous racontons, plus nous donnons de force au souvenir que nous racontons. Inviter les enfants raconter leurs souvenirs agréables, c’est une façon de les inviter à faire le lien entre eux autour de se souvenir, et donc de commencer à créer un nouveau collectif.