Covid 19. 1/4 : un choc traumatique semblable à aucun autre

par | 18 avril 2020 | Actualités, Blog, traumatismes

La décision d’un confinement général annoncée au soir du lundi 16 mars 2020 par le président de la république a frappé de sidération un très grand nombre de Français. Certains ont aussitôt réfléchi au meilleur moyen de gérer cette situation inattendue et sont partis dans leur maison de campagne, tandis que d’autres se sentaient débordés par l’angoisse de ne pas pouvoir faire face aux menaces physiques et/ou psychiques qui allait en résulter pour eux.  Cela a été notamment le cas de ceux qui ont immédiatement pensé à la faillite de leur entreprise, ou de ceux qui ont été pris d’angoisse à l’idée de vivre 24 heures sur 24 à plusieurs dans un appartement minuscule. Et ce choc a été d’autant plus grand que personne ne s’y attendait, tant notre gouvernement s’était employé à nous rassurer sur la parfaite préparation de l’ensemble de ses services à l’arrivée du coronavirus sur notre sol.

Mais si nous voulons comprendre les blessures psychiques durables qui commencent à devenir visibles et que le prolongement du confinement décidé le 13 avril va aggraver, il nous faut prendre en compte le fait que cette pandémie impose un choc de nature très différente de celui d’une catastrophe naturelle ou d’un attentat, auquel s’ajoutent de nombreux facteurs de stress agissant sur le long terme.

Une catastrophe différente des autres

Tout d’abord, à la différence d’un attentat ou d’une catastrophe, il n’existe pas dans cette pandémie des victimes bien identifiées qu’il serait possible de distinguer du reste de la population nationale ou mondiale, de telle façon que ceux qui n’ont pas été touchés pourraient venir au secours de ceux qui l’ont été. Non seulement l’ensemble de la population est concerné, mais, exception faite des professions mobilisées pour lutter contre la maladie, celles et ceux qui voudraient manifester leur solidarité en sont empêchés par le risque de contaminer ou d’être contaminés.

Le second élément qui différencie radicalement cette pandémie d’une catastrophe telle qu’une inondation ou un attentat, c’est qu’il n’existe pas un « avant » et un « après ». On nous annonce un déconfinement partiel, et peut-être l’obligation de revenir à des moments de confinement et de distanciation sociale (un mètre au moins) semblables à ceux que nous vivons actuellement, sans compter la possibilité de mutations imprévisibles du virus qui feraient courir le risque de nouveaux épisodes endémiques. Autrement dit, la « fin du confinement » ne sera pas forcément la fin du confinement. Sans compter qu’à cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes s’ajoutera pour beaucoup la nécessité de faire face à la fois aux effets du confinement sur eux, à une crise financière et à des activités sociales qui devront rester très réduites. Nous aurons l’obligation de travailler, mais pas la liberté de nous déplacer, d’aller au cinéma, ou au restaurant. Bref, les inconvénient d’aller au travail avec un masque et un flacon de gel hydro alcoolique, mais pas les avantages des loisirs !

Ainsi s’explique que chacun, à l’annonce du confinement, ait vécu un moment de sidération. Mais si le modèle du choc traumatique ne peut pas être appliqué à la situation actuelle, quel est donc son modèle ? C’est celui, nous semble-t-il, d’une mort annoncée. Ou plus précisément de l’angoisse d’une quadruple mort.

Mourir de quatre morts

L’angoisse de la mort physique

Tout d’abord bien sûr, il y a l’idée que le virus peut être contactée par chacun à tout instant. Chacun peut l’héberger, l’avoir sans s’en rendre compte et le donner à ses proches. D’ailleurs, la justification du confinement est d’éviter un nombre trop élevé de morts survenant au même moment et débordant les capacités de soins, au risque de créer un état de panique généralisée. Avec l’angoisse, peut-être, si nous contactons la maladie, de ne jamais pouvoir serrer nos proches dans nos bras.

L’angoisse de la mort sociale

Si le risque d’affecter des proches et d’être ainsi responsable de leur mort est brandi par les pouvoirs publics, ce n’est pas la seule raison de vivre la situation actuelle comme une forme de mort. Il y a évidemment aussi l’angoisse de la mort sociale. Beaucoup ont été obligés d’interrompre brutalement des démarches en cours aussi importantes qu’un achat immobilier, un déménagement, un divorce, un mariage ou un baptême. Et aujourd’hui, et pour un temps encore indéterminé, il ne nous est plus possible de manifester notre désir de nous rapprocher de voisins ou d’amis que nous pouvons croiser dans la rue, dans notre montée d’escalier ou dans notre cour d’immeuble. Quand j’étais enfant, il y avait une expression pour désigner l’angoisse d’être tenu à l’écart : « être un pestiféré ». D’une certaine façon, nous sommes tous aujourd’hui des pestiférés.

L’angoisse de la mort psychique

En troisième lieu, cette angoisse de mort est suscitée par le confinement lui-même, c’est-à-dire par l’obligation de ne pas sortir de chez soi. Pour beaucoup, se retrouver chaque jour immobilisé « entre quatre murs » est vécu comme être déjà « entre quatre planches ».

L’angoisse de la mort collective

Enfin, à ces angoisses ressenties par chacun d’entre nous intimement, il faut ajouter les effets produits par certain discours médiatique qui présentent cette pandémie comme le signe, et le début, de la mort de notre civilisation. À force d’avoir voulu oublier la nature, la nature se vengerait, et à vouloir l’ignorer encore, notre espèce serait directement menacée. Or, que ce soit sur le plan national ou international, rien n’indique que la tendance des gouvernements soit à la prise de conscience écologique, et du coup, ce discours équivaut pour beaucoup à l’annonce d’une mort inévitable. Tout indique qu’à part quelques sanctuarisations possibles, comme dans le domaine de la santé, la priorité sera d’abord de relancer l’économie tout en protégeant le mieux possible les employés. Bref, il n’y a pas de grande révolution verte à l’horizon et ceux qui y voient la cause de nouvelles pandémies possibles creusent encore un peu plus l’angoisse actuelle de la fin d’un monde en faisant craindre celle de la fin du monde.

Des injonctions qui aggravent le sentiment d’écrasement

Si l’angoisse de la mort sous tous les aspects que nous avons évoqués a été peu nommée depuis les débuts de la pandémie, l’angoisse du vide a en revanche été bien perçue. De telle façon que depuis l’annonce du confinement, les injonctions se sont succédé pour tenter de d’éviter les populations de s’y confronter. D’abord, il y a eu l‘injonction du confinement productif. Il fallait profiter de ce temps pour faire ce que nous n’avions pas eu le temps de faire jusqu’ici, ranger la maison, lire les livres et visionner les films que nous avions toujours eu envie de lire ou de regarder sans en trouver le temps. Mais il s’est vite imposé que l’angoisse du vide n’était pas soluble dans l’hyperactivité consommatoire.

Dans un second temps, chacun a alors été invité à prendre soin de lui. Faire du yoga, de la danse, de la méditation de pleine conscience, ont été présenté comme les moyens les plus utiles de rester en bonne santé psychique.

Mais très vite, il est apparu que le besoin de sociabilité de l’être humain pour ses semblables restait insatisfait. Ainsi est apparu une troisième forme d’injonctions, « prendre soin des autres ». Applaudir chaque soir à 20 heures les soignants, mais aussi faire preuve d’altruisme, nous soucier de nos voisins, leur proposer de leur ramener certains produits si nous allons faire des courses, ceci afin de leur éviter de sortir eux aussi…

Enfin, parallèlement à ces trois moments qui ont touché chacun d’entre nous, certains, habitués à utiliser les outils intellectuels, se sont donnés pour injonction d’inventer le « monde d’après », a tel point que ce que nous pouvons redouter, ce n’est pas le manque d’un mode d’emploi pour « l’après », mais plutôt leur trop grand nombre, et la quasi-impossibilité de les lire tous…

Ces injonctions ont-elles pour autant soulagée le poids du confinement ? Je n’en suis pas sûr. Dans une société où la prise en charge de soi est une obligation contraignante, cette façon de lutter contre l’angoisse du vide à aggraver chez beaucoup le sentiment de ne pas utiliser leur temps comme ils le devraient. À vouloir trop convaincre les gens qu’ils sont maîtres de leur destin, il y a le risque de les rendre responsables de leurs échecs et d’aggraver leur dépression.

Mais s’il est vrai que le modèle de cette crise s’apparente à l’annonce d’une mort probable, nous devrions retrouver dans les réactions qui sont les nôtres depuis le début du confinement les mêmes réactions que celles qui sont identifiées chez une personne à laquelle sa mort est brutalement annoncée. Et c’est bien en effet, comme nous allons le voir dans le blog qui fait suite à celui-ci, ce qui est arrivé.