La lutte pour la liberté d’expression en France n’avait pas besoin d’un héros de plus, et elle l’a hélas trouvé, dans les conditions tragiques que l’on connaît, dans la personne de l’enseignant Samuel Paty. Un héros ordinaire, que l’éducation nationale tient justement à nous montrer comme d’autant plus ordinaire qu’il se doit d’être représentatif de tous les enseignants qui font leur métier avec attention, dévouement et désintéressement.
Mais il serait tragique que cet événement ne soit pas aussi l’occasion pour le gouvernement de prendre en compte l’extraordinaire hétérogénéité du corps des enseignants par rapport aux nouvelles responsabilités qui leur sont confiées dans le cadre de l’éducation citoyenne, notamment par rapport aux problèmes surgis de l’omniprésence des écrans en général et des médias sociaux en particulier. Or, de ce point de vue, tout est à faire. Mais heureusement, l’éducation nationale ne manque pas d’intervenants.
De multiples intervenants sur lesquels s’appuyer
Outre les enseignants eux-mêmes formés dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, (ESPE), il y a les professeurs documentalistes, les psychologue éducation nationaledont la formation a été récemment repensée, les éducateurs, le service sanitaire lancé depuis la rentrée 2018 pour les 47 000 étudiants en santé, et les animateurs socio-éducatifs (formés dans le cadre des BAFA) qui interviennent sur les temps de loisirs et les temps périscolaires.
Or, à ce jour, aucune de ces filières de formation n’inclue un volet « éducation aux médias », et encore moins une sensibilisation à la nouvelle culture des médias par les jeunes. Alors, autorisons-nous quelques propositions. Elles font partie, avec beaucoup d’autres, du rapport pour lequel le Centre National de la Cinématographie et de l’image animé (CNC) m’a missionné en 2018, sur le thème : Quelles protections pour les mineurs dans l’audiovisuel à l’ère d’Internet ? (consultable en intégralité ici : https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/rapport/quelles-protections-pour-les-mineurs-dans-laudiovisuel-a-lere-dinternet_1130002)
Sensibilisation dans le cadre de la formation initiale
Pour les enseignants, il s’avère indispensable de mettre en place des petits modules d’éducation aux images. Ces modules existaient d’ailleurs dans le cadre de certains IUFM, mais depuis l’arrivée des ESPE, ils ont tous disparu. Nous proposons que cette éducation aux médias soit développée dans le cadre de l’éducation morale et civique, volet éducation aux médias et à la citoyenneté.
Pour les animateurs socioculturels, et éducateurs, il est important que le programme national inclue la nécessité d’une sensibilisation aux questions des images qui pourrait rentrer dans le cadre d’une case équivalente à celle qui existe déjà pour la formation des enseignants en ESPE : éducation morale et civique, volet éducation aux médias et à la citoyenneté.
Cela dit, il serait également important de former ces éducateurs à des jeux collectifs afin qu’ils soient moins enclins à mettre les enfants devant un écran aussitôt qu’il pleut ! Ce qui nous a d’ailleurs plusieurs fois donné envie, à l’association 3-6-9-12, de lancer un hashtag « Pas de télé à la récré » ! Nous manquons de temps, et de bras, pour le faire, mais si un tel mouvement était lancé, nous le relayerions bien volontiers !
Suivi dans le cadre de la formation continue
Elle peut être organisée de deux façons : soit en lien avec la volonté des villes ou de certaines structures, soit sur internet avec des sites spécialisés. En pratique, il faut à la fois renforcer les pôles régionaux d’éducation aux images, et mettre en place des plateformes en ligne pour la formation continue, mais tout en maintenant les formations en présentiel.
Mise à disposition d’outils pour tous les intervenants sur le terrain
- Le projet « Cinéma et citoyenneté » du CNC doit être élargi aux maternelles et élémentaires.
- Une petite bibliothèque de DVD adaptés aux enfants pourrait être mise en place par chaque municipalité. Il serait également souhaitable que les éducateurs, enseignants et personnels de cantine puissent avoir accès à une ou plusieurs plateformes d’information auxquelles les municipalités prendraient un abonnement.
- Les écoles et/ou les municipalités pourraient financer un abonnement annuel à des sites spécialisés comme https://benshi.fr/ et http://www.lekinetoscope.fr/ (lekinetoscope.fr est un site permettant de trouver des courts-métrages pour les enfants classés en fonction des âges). Les animateurs socio-éducatifs pourraient y avoir accès gratuitement. Ce qui suppose qu’ils aient été sensibilisés à leur utilité et à leur usage dès leur formation.
- De nombreuses collectivités locales ont les possibilités de fournir des courts-métrages adaptés à la pause méridienne. La ville de Paris propose par exemple la cinémathèque Robert Lynen qui est la plus grosse cinémathèque scolaire de France. Mais cette opportunité, et la possibilité d’y avoir recours, est peu connue.
Création d’une plateforme mutualisée pour informer sur les ressources locales
Ce projet correspondrait à un double objectif : rendre disponible à tous les intervenants les documents qui ne sont actuellement disponibles que sur certaines régions ; et permettre aux intervenants d’entrer en contact les uns avec les autres et d’échanger leurs expériences.
Nous proposons que Paris prenne l’initiative de créer une telle plateforme mutualisée sur laquelle des courts-métrages seraient à disposition avec une indication d’âge de façon à permettre aux éducateurs, enseignants, et personnels de cantine amenés à gérer parfois les pauses méridiennes, de savoir se fournir en films de qualité correspondant aux âges des enfants auxquels ils s’adressent.
Enfin, il serait important de créer des outils permettant les remontées de terrain, par exemple en s’appuyant sur « Enfance et cinéma ». Car les enfants changent, et il n’y a d’éducation qu’adaptée aux usages !