A l’approche de Noël, les fabricants de jouets font assaut de publicités pour convaincre les parents que leurs enfants entreront d’autant mieux dans le nouveau millénaire qu’ils seront introduits plus tôt au monde des objets interconnectés. Beaucoup de ces objets prennent l’apparence de robots (poupées ou autres) possédant une base de données impressionnante et conçus pour devenir de « vrais amis », voire même développer un lien affectif avec l’enfant. Le futur semble entrer par la porte des jouets. Pourtant, nous aurions tort de croire que ce sont les robots qui sont au centre de ces technologies de demain. Ils ne constitueront que la partie visible de l’immense iceberg constitué par les objets interconnectés.
Un contrôle de chacun par chacun
Il y a quelques mois, un fabricant de vêtements a mis en vente des manteaux dotés d’une puce RFID, de telle manière que les parents puissent suivre les déplacements de leur enfant sur le GPS de leur smartphone… Ces manteaux-mouchards se sont vendus comme des petits pains ! C’est que tous les parents ont le désir de surveiller leur enfant avec l’excuse de veiller ainsi plus efficacement à sa sécurité. Le problème de la surveillance généralisée n’est pas seulement celle d’un contrôle de quelques-uns sur tous les autres, que ce soit de la part des gouvernements ou d’entreprises commerciales comme Google. C’est tout autant celui d’une surveillance de chacun par chacun : les parents veulent surveiller leurs enfants, les maris leur femme, les femmes leur mari, les patrons leurs employés, etc.
Toutes ces formes de surveillance se renforcent évidemment mutuellement : la surveillance dont nous nous savons chacun l’objet nourrit l’idée que chacun a le droit de surveiller qui il veut, sans se douter que la surveillance qu’il exerce sur autrui est également capturée par la surveillance globale et l’alimente à son insu comme à l’insu de celui qu’il surveille…
Une empreinte légère
Face à un danger aussi important, et dont nous commençons tout juste à prendre conscience, la construction de protections est nécessaire. On peut bien entendu décider de retirer chaque semaine une même somme d’argent au même distributeur de son quartier afin de ne plus utiliser sa carte de crédit, ou d’acheter des tickets de métro plutôt que d’utiliser une carte d’abonnement qui trace tous nos déplacements. On peut aussi refuser de porter le bracelet électronique dont certaines compagnies d’assurances nous invitent à nous munir afin de réduire nos primes et refuser que notre manière de conduire soit de la même manière tracée pour bénéficier d’une réduction de notre assurance automobile. Hélas, non seulement ces méthodes ont une efficacité très relative, mais en plus la capture de nos données personnelles par les fournisseurs de services sera bientôt une condition absolue pour continuer à en bénéficier. On nous prévient déjà sur Internet, à chacune de nos navigations, que les cookies que nous téléchargeons à chaque opération, et qui sont en fait autant de mouchards installés sur notre ordinateur, sont indispensables au bon fonctionnement des services qui nous sont fournis…
Des objets qui nous surveillent
Avec les objets interconnectés, nous allons donc être obligés de changer complètement de point de vue sur notre environnement. Depuis que l’être humain crée des objets, il s’est habitué à les considérer comme des serviteurs. Ma brosse à dents, ma voiture, la nourriture que j’achète au super marché m’appartiennent et j’en fais l’usage que je veux à chaque instant Mais bientôt, ces objets ne seront plus seulement nos serviteurs, ils seront en même temps, et de manière indissociable, des mouchards, qui informent des tiers sur l’utilisation que nous en faisons, et, bien au-delà, sur nos déplacements, nos goûts, nos rencontres… Bref, il va nous falloir considérer nos objets familiers non seulement comme nos amis, mais comme les amis de ceux qui nous surveillent, peut-être pour notre bien… mais peut-être aussi pour le profit qu’ils en tirent et le désir qu’ils ont de pouvoir prévenir chez nous toute activité qu’ils jugeraient indésirable. La généralisation de la location d’objets nous habitue déjà à les considérer comme appartenant au service qui nous les fournit dans l’attente que nous renoncions en contrepartie à l’ensemble des données que ces objets peuvent leur transmettre.
Un indispensable encadrement législatif
Nous allons donc devoir apprendre à nos enfants à se méfier des objets, à commencer par ces fameux objets que nous sommes invités partout à leur offrir à Noël. Et nous aurons aussi tout intérêt à leur faire découvrir le plus tôt possible les avantages du langage de programmation. Ceux qui sauront communiquer avec les machines, et leur donner des informations conformes à leurs vœux, sauront mieux s’en protéger à l’avenir que ceux qui ne l’auront pas appris.
Mais l’éducation ne suffit pas. Des mesures législatives doivent également être prises pour nous protéger : la décision minimale serait l’obligation faite à tous les constructeurs d’objets connectés ou interconnectés de localiser de façon visible l’emplacement de la puce de connexion de manière à ce que l’utilisateur puisse décider de faire fonctionner l’objet en mode connecté ou non connecté. Sur les habits, les bouteilles, les objets électroménagers, la puce RFID devrait être placée suffisamment en évidence pour pouvoir être non seulement déconnectée, mais même enlevée, pour éviter toute « fausse déconnexion » qui la laisserait fonctionner alors que l’usager penserait l’avoir interrompue.
Sans l’association d’une éducation et d’une législation qui se renforcent mutuellement, le monde des objets interconnectés risque de ressembler bientôt à celui décrit par Orwell dans son roman 1984.