On parle beaucoup de « détox numérique » aujourd’hui. Il s’agit le plus souvent de passer une semaine à quinze jours dans un endroit retiré, sans Internet ni téléphone mobile. Il est bien évident que chacun peut tirer bénéficie de périodes pendant lesquelles il est invité à se recentrer sur lui-même, la nature et des relations de proximité, loin de l’agitation du monde. Le problème est qu’ici, il ne s’agit plus seulement de retrouver le goût d’une rencontre avec soi-même et les autres, mais de réaliser un « sevrage », sur le modèle de la cure de désintoxication alcoolique dont on sait largement qu’elle n’a jamais marché.
Mais avant de parler de désintoxication, il est nécessaire de distinguer deux types d’utilisations des technologies numériques qu’on peut qualifier d’excessifs. Ni l’une ni l’autre ne sont d’ailleurs pathologiques, car elles peuvent être ponctuels et correspondre à un moment dans le rapport qu’un individu entretient avec. Mais l’une et l’autre sont « chronophages », et il est impossible de les distinguer si l’on s’en tient seulement au temps passé.
Usages d’apprentissage, usages de fuite
Tout d’abord, il y a ceux qui tiennent à utiliser ces technologies pour tout ce qu’elles peuvent apporter, et aussi pour éviter leurs pièges. Ils sont donc dans un apprentissage permanent et utile de leurs possibilités. Les nouvelles générations qui sont dans cette situation sont d’ailleurs plus méfiantes vis-à-vis du détournement de leurs données personnelles, et moins victimes d’arnaques en tous genres que les seniors qui les pratiquent moins.
La seconde catégorie d’usagers considérés comme excessifs sont ceux qui utilisent de façon répétitive ce qu’ils maîtrisent de ces technologies pour éviter de penser aux difficultés de leur vie quotidienne, comme le chômage, la précarité ou la solitude. Il ne s’agit plus d’apprentissage, mais de fuite.
L’intox à la détox
Les stages de « détox numérique » sont évidemment inadaptés dans les deux cas. En effet, pour ceux qui désirent utiliser les technologies numériques au maximum de leurs possibilités, il n’y a pas d’autres choix que de les pratiquer sans cesse car elles ne cessent jamais d’évoluer. Quant à ceux qui désirent fuir les difficultés du monde, ils auront évidemment toujours d’excellentes raisons de vouloir le faire. Les programmes intensifs de « détox numérique » permettront sans doute aux uns et aux autres de penser à d’autres choses pendant une semaine ou deux. Mais que se passera-t-il à leur retour ? Toutes leurs habitudes associées à leur environnement habituel surgiront à nouveau et la tentation sera grande de renouer avec elles.
C’est pourquoi ces programmes ne sont rien d’autre qu’une gigantesque arnaque. Cela ne veut pas dire que ceux qui s’y lancent n’y trouvent pas un apaisement et une satisfaction. Mais cela tient à leur caractère de retraite loin de l’agitation du monde et pas du tout au projet « de détox numérique ». Au moment où la communauté scientifique internationale insiste sur le fait que les usages intensifs des technologies numériques ne relèvent pas d’une forme moderne d’intoxication ou d’addiction, les vendeurs de « détox numérique » pratiquent en réalité l’intox à la détox…
Changer nos habitudes quotidiennes, ensemble
Si les technologies numériques ne produisent pas d’addictions, elles peuvent produire en revanche de très mauvaises habitudes, autant individuelles que sociales. Et encore plus si celles-ci sont partagées par les proches, les amis ou les collègues de travail. C’est pourquoi la solution à ces pratiques excessives n’est pas individuelle, mais collective. Et le premier groupe concerné est évidemment la famille. Cela commence par le fait de prendre le repas du soir sans télévision ni téléphone mobile, par la décision de couper le Wifi familial le soir à partir d’une certaine heure, et par un contrat passé entre les membres de la famille pour déposer son téléphone mobile sur la table du petit déjeuner à côté de son assiette au moment du coucher. Autour des technologies numériques, personne ne tient seul la solution de ses excès. Il n’y a de solutions que liées aux communautés dans lesquelles chacun s’inscrit, dont la plus importante est pour beaucoup d’entre nous la famille.