Une étude récente (Elizabeth Martin, Facebook activity reveals clues to mental illness, University of Missouri, MEDICAL HEALTH NEWS TODAY, 28 Jan 2013) indique que l’analyse du profil d’un usager de Facebook pourrait permettre de faire le point sur sa santé mentale, et même de déduire certains symptômes de sa pathologie de manière aussi efficace qu’une série d’entretiens prolongés avec lui. Le docteur Elisabeth Martin, initiatrice de cette recherche, en conclut : « Les thérapeutes pourraient utiliser les réseaux sociaux pour compléter le tableau clinique d’un patient ».
Gageons d’abord qu’à lire cette publication, certains vont se sentir des ailes et s’engager dans l’étude du profil de leur ami(e), de leur patron ou de leur voisin, à la recherche de son « moi caché ». Mais ne croyons pas que ce soit si facile. Car chacun va évidemment être tenté de lire les profils des autres à la lumière de sa propre névrose : sa lecture risque bien de ne lui apprendre rien, excepté sur lui-même !
Les réseaux contre les psys ?
Curieusement, la question la plus intéressante que soulève cette étude n’est même pas évoquée par ses initiateurs, sans doute trop pressés de lui trouver des usages médicaux « utiles ». Et si les usagers des réseaux sociaux sur Internet s’y racontaient justement à ce point pour ne plus avoir besoin d’aller consulter un psy ? Autrement dit, et si l’usage de Facebook était appelé à remplacer, à terme, le recours au psychiatre ? Nous pourrions bien être aujourd’hui par rapport au développement des réseaux sociaux exactement dans une situation semblable à celle qu’évoquait Monseigneur Di Falco dans les années 1970 au sujet de l’envahissement des foyers par la télévision. De la même manière que le prélat pointait la télévision comme le principal responsable de la désaffection des églises, les réseaux sociaux pourraient bien être aujourd’hui les principaux responsables de la désaffection qui frappe les cabinets de psys. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois dans l’histoire que s’opèrerait un changement de cette nature. N’oublions pas que le psy n’a fait bien souvent que prendre le rôle que jouait avant lui le prêtre, au point de vider les confessionnaux ! Après tout, pourquoi Facebook ne prendrait-il pas maintenant la place que joue le psy ? Mais cette apparente continuité ne doit pas nous cacher les bouleversements profonds qu’elle recouvre.
Du prêtre au psy, puis à Facebook
Celui qui va voir un prêtre le fait pour se mettre en paix avec Dieu, et cela l’oblige à raconter ses péchés pour se les faire pardonner.
Celui qui va voir un psy cherche au contraire à se réconcilier avec ses désirs. C’est pourquoi il s’agit moins pour lui de confier ses « péchés » que de tenter de se libérer de ce qui pourrait justement l’empêcher d’en commettre !
Enfin, avec Facebook, il ne s’agit plus de se mettre en paix avec Dieu, ni avec soi, mais avec une communauté virtuelle idéalisée. Et la règle du jeu pour y parvenir a changée. Avant Internet, à l’époque où les communautés faisaient se rencontrer des personnes réelles, il valait toujours mieux éviter de confier trop d’informations sur soi car l’une ou l’autre risquait de mobiliser des réticences à notre égard de la part de certains membres du groupe dans lequel nous voulions justement nous intégrer. Celui qui s’était fait accepté dans un club de joueurs de pétanques aurait eu bien tort d’y évoquer son homosexualité ou ses pratiques échangistes ! L’adhésion à un groupe et la confidence des aspects les plus personnels de soi entraient donc en concurrence. Mais avec Internet, les deux se sont mis au service l’un de l’autre : c’est justement la confidence des éléments les plus personnels de soi qui permet de rencontrer ceux avec lesquels nous sommes susceptibles de former la communauté la plus forte et la plus authentique. Telle est la différence majeure qui oppose la construction des liens avant Internet et depuis.
Se sentir intégré plus que compris
C’est pourquoi mettre en garde contre le danger de déposer trop d’informations personnelles sur Internet n’empêchera jamais certains de le faire, parce qu’ils peuvent estimer que les bénéfices escomptés l’emportent largement sur les dangers possibles. Ils n’y rencontreront certainement pas un interlocuteur aussi attentionné que pourrait l’être un psy, mais ils y trouveront une communauté par laquelle ils se sentiront valorisés, et avec laquelle ils pourront échanger autour des évènements particulièrement difficiles de leur propre vie. Et à une époque où la majorité des demandes de consultation sont en lien avec un défaut d’estime de soi et/ou une difficulté à surmonter des traumatismes, ceci peut bien valoir cela.