« Hatchimal », le robot de Noël destiné à coloniser l’esprit de nos enfants

par | 22 décembre 2016 | Actualités, Blog, Éthique, Jeune enfant, Jouet, Robots

Les robots vont-ils détrôner cette année les ours en peluche et autres poupées au pied du sapin ? Il y a juste une année, des poupées Barbie connectées et transmettant en permanence les propos de ceux qui les entouraient à leurs fabricants ont été boycottées par les associations familiales américaines. Pourtant, le cylindre Echo commercialisé par Amazon au même moment, et qui est doté exactement des mêmes possibilités, a été accepté par beaucoup de familles. C’est que la cible était mal choisie, les enfants étant perçus comme une espèce à protéger. Les marchands de Noël ont donc décidé cette année de coloniser l’esprit de nos enfants par une autre porte. Le produit s’appelle Hatchimals. Il s’agit de petits animaux en peluche qui ne sortent de l’œuf dans lequel ils sont livrés que si leur possesseur est capable de leur témoigner une attention suffisante à travers la coquille, notamment en leur parlant. Leur jeune propriétaire est alors invité à faire grandir sa créature. Il s’agit en quelque sorte d’une version high-tech des tamagotchis qui ont connu leur heure de gloire il y a 20 ans. Entre temps, la robotique a progressé, mais aussi la recherche en sciences humaines.

De grands yeux pour te convaincre que je t’attends

La peluche est dotée de deux grands yeux à la pupille exagérément dilatée comme le sont déjà depuis quelques années les peluches Ty. Or c’est justement chez l’être humain la dilatation de la pupille qui est le signe immédiatement perçu et interprété d’un désir de rapprochement de la part de notre interlocuteur. Une expérience simple le met en évidence. On montre à des sujets deux visages féminins. Il s’agit en réalité du même, la seule différence résidant dans le fait que sur l’une des deux images, les pupilles sont dilatées alors que sur l’autre elles ne le sont pas. La première surprise est que ces deux visages ne sont pas identifiés comme étant le même tant notre attention, face à un visage, se concentre sur ses yeux. On demande alors aux sujets testés laquelle de ces deux femmes ils aimeraient rencontrer. Massivement, les sujets optent pour celle qui a les pupilles dilatées alors qu’il s’agit, encore une fois, de la même. Chez les peluches et les robots, ces yeux ont la même fonction : convaincre l’utilisateur qu’il est désiré !

Une dépendance réciproque

Ce n’est pas le fait qu’un robot soit capable de se déplacer et d’accomplir des gestes semblables aux nôtres qui nous le rend le plus proche, c’est le fait qu’il tourne la tête dans notre direction si nous l’appelons (1). S’il me pose une question, cela me comble : j’ai le sentiment qu’il s’intéresse à moi. Et s’il me demande de l’aider, je m’engage avec lui dans une relation dans laquelle je ne suis pas enclin à penser qu’il simule, parce que je n’y simule pas moi-même. Cela crée l’illusion d’une forme de désir. Or l’expression d’un désir n’est pas perçue comme relevant d’une simulation parce qu’il nous semble y reconnaître le fonds de la nature humaine.
Autrement dit, ce qui peut le mieux nous attacher à un robot, ce n’est pas qu’il s’occupe de nous, c’est qu’il nous interpelle pour nous inviter à nous occuper de lui. Aussitôt que nous sommes amenés à nous occuper du robot et à lui apprendre des choses, nous cessons de le percevoir comme une machine et il devient une sorte d’enfant dont nous aurions la charge. Que le robot semble vouloir interagir avec moi, et je suis enclin à penser qu’il est conscient de ma présence, qu’il me reconnaît, et bientôt qu’il m’aime. Que son programme génère l’illusion qu’il a besoin de moi pour évoluer et la dépendance que je lui prête risque d’engendrer la mienne. Ce n’est guère étonnant : il n’y a de dépendance que réciproque.
Les Hatchimals ne sont pas encore destinés à capturer et transmettre nos données les plus personnelles. Ils sont là pour nous convaincre de leur parler, de nous confier à eux, de leur faire confiance en toutes circonstances parce qu’ils ont besoin de nous. Quand notre attachement leur sera acquis, leur connexion pourra être présentée comme une façon de rendre plus intense encore la relation que nous lie à eux. Le pari de leur acceptabilité aura été gagné.

« J’ai confiance dans mon robot »

Avec les robots, nos projections anthropomorphes sont donc appelées à flamber. Est-ce de l’animisme ? Non, pour autant que nous n’accompagnons pas ces projections de la croyance que le robot aurait « pour de vrai » les capacités que nous lui prêtons. Hélas, les grandes entreprises qui nous veulent nous vendre des robots – comme Softbank pour le robot Pepper – ont déjà commencé à nous convaincre que les robots domestiques proposés à notre achat auraient « du cœur », et même une conscience totalement dévouée à notre service. D’autres étapes sont déjà prévues pour que nous ayons dans nos robots une confiance aveugle. Comme pour les enfants appelés à faire éclore leur « Hatchimal », tout sera fait pour que nous ayons l’illusion qu’ils commencent à vivre avec nous. De ce point de vue, l’idée du roboticien japonais Hiroshi Ishiguro que l’acheteur d’un robot l’active en lui prenant les mains et en le faisant accéder à la position verticale est particulièrement habile. C’est une forme de mise au monde, un peu comme si nous aidions un bébé à marcher seul sur ses deux jambes ! L’homme sera d’autant plus enclin à attribuer à un robot domestique des qualités humaines qu’il aura eu l’illusion de le mettre au monde en l’éveillant à la conscience de son environnement. Et ce fantasme se prolongera bien entendu dans celui d’aider son robot à grandir. Notre attachement à un objet est encore plus fort si nous décidons de le mettre sous notre protection. Bien sûr, il faut y être déjà attaché pour faire ce choix, mais incontestablement, cela renforce l’attachement que nous lui portons : il en va alors de notre estime de nous-mêmes dans la possibilité de le protéger. D’ores et déjà, dans le laboratoire de Hiroshi Ishiguro à Osaka, les chercheurs en charge de faire évoluer un robot dans une relation personnalisée sont appelés leur « mère ». Ces stratégies sont destinées à nous faire oublier que les robots sont programmés par des humains dont le souci principal est de contrôler nos comportements pour les orienter dans le sens d’une consommation toujours plus guidée.

Le robot, meilleur ami du commerçant

Le robot est incontestablement le meilleur ami du commerçant : attentif au moindre de nos besoins, transmettant en permanence nos données à leurs concepteurs afin de mieux s’adapter à nos attentes en temps réel, et capables de nous suggérer en toutes circonstances les « bons » choix à faire. Google et Amazon utilisent déjà des algorithmes « intelligents » qui sélectionnent les contenus à nous présenter en priorité avec le risque de constituer pour chacun d’entre nous une bulle spécifique capable d’orienter notre perception du monde et de nous enfermer dans nos a priori. Mais les oeillères qu’ils nous fabriquent à chaque fois que nous les consultons ne sont rien à côté de celles que nous fabriqueront nos robots, lorsqu’ils vivront près de nous du matin au soir, et que nous serons invités à les acheter en pensant que ce sont nos « meilleurs amis ». 
Je ne serai pas étonné que le patron de SoftBank, qui projette de vendre un robot par famille au Japon dans les 10 ans, et dans bien d’autres pays ensuite, se rêve déjà en maître du monde.

(1) Turkle S., Seuls ensemble, de plus en plus de technologies et de moins en moins de relations humaines (2011), L’échappée, 2015.