Le Procureur de la République a décidé de classer sans suite les accusations de harcèlement moral et sexuel dont Monsieur Fethi Benslama, enseignant à Paris VII, était l’objet. Ce classement sans suite inclus également les éléments le concernant du rapport de l’IGAENR sur le fonctionnement de l’UFR. La décision du Procureur, intervenue le 26 novembre 2019, a été communiquée le 8 octobre 2020 à l’intéressé, et met donc un terme au volet judiciaire de l’affaire. Maintenant que la justice a tranché, le moment est donc venu de tenter de comprendre ce qui a pu se passer pour que l’on en soit arrivé à une situation aussi problématique.
La zone grise de la séduction en situation de pouvoir
Rappelons d’abord deux choses. Tout d’abord, le fait que des plaintes soient déboutées parce que les preuves apportées sont insuffisantes ne signifie pas que ces plaintes n’aient pas été fondées aux yeux de ceux qui les portent. Et ensuite, si des accusations jugées insuffisamment fondées par la justice sont portées contre certains enseignants, elles n’ont pas été portées contre tous. Alors, la seule question qu’il semblerait légitime que ceux qui ont été accusés se pose serait de savoir pourquoi cela est « tombé sur eux ».
Chacun sait bien que dans ces affrontements entre victimes supposées d’agression et agresseurs supposés, les choses se jouent parole contre parole, et parfois en toute bonne foi. Il arrive que l’agresseur n’ait pas mesuré la portée de ses propos, de ses gestes, de ses mimiques, tout habitué qu’il est à fonctionner dans le cercle de pouvoir dans lequel il évolue. Et il est d’autant plus enclin à oublier la situation difficile dans laquelle ses propositions mettent celles et ceux qui les subissent que cela l’arrange doublement : d’abord, cela lui permet d’échapper à toute culpabilité liée à l’exercice d’un abus d’autorité, et ensuite, cela flatte son ego de se croire désirable indépendamment de la relation de sujétion qu’il établit.
La zone grise de l’agression sexuelle en situation de pouvoir
Pour celui qui occupe une position d’autorité, ses propositions lui paraissent donc légitimes puisqu’il désire ce qu’il demande et demande ce qu’il désire, même si c’est de façon plus ou moins maladroite. Le plus souvent, il ne pense pas en termes d’ordre auquel ses « cibles » devraient obéir, mais de manifestation de son désir. Le problème est que la victime, elle, ne sait pas s’il s’agit d’un désir que l’on peut légitimement refuser, ou d’un ordre auquel il faudrait obéir. Et si elle est bouleversée, ce n’est pas seulement par ce qui lui est dit ou fait, mais aussi par le sentiment que la proposition ne relève justement pas d’une simple proposition, mais d’une obligation qu’il serait dangereux de refuser, au risque que l’enseignant, sans avoir ni raisons à donner ni justifications à produire, sanctionne l’étudiante ou l’étudiant qui a refusé ses avances. Il est très difficile pour un enseignant, un homme de surcroît, de se représenter l’état de confusion généré par ses propos ou gestes de séduction, lorsque ce qui se joue dans l’esprit de la « cible » est l’accès possible au métier qu’elle s’est choisi, alors que les mêmes avances pourraient être simplement acceptées ou rejetées dans un cadre de relations égalitaires.
Responsabilité et culpabilité
C’est pourquoi, plutôt que de vouloir « rétablir leur honneur », les enseignants qui se sentent injustement accusés de choses dont ils ne se sentent pas coupables, feraient bien mieux de s’interroger sur la part qu’ils ont prise dans la fabrication de ces accusations. Autrement dit, mieux distinguer entre responsabilité et culpabilité, car la justice ne s’occupe que de la seconde, pas de la première.
Cela paraît d’autant plus important à comprendre que l’Université où les accusations les plus graves ont été portées est censée enseigner la psychologie, et que plusieurs de ses enseignants se réclament de la psychanalyse. Le problème est qu’aujourd’hui, celui qui s’est senti injustement cloué au pilori médiatique s’affirme surtout préoccupé de « rétablir son honneur ». Bref, celui qui a été accusé d’être tout noir, maintenant que la justice l’a lavé de ce soupçon, s’emploie à vouloir paraître tout blanc. Et cette posture ne peut qu’alimenter le doute sur sa capacité à se montrer capable de comprendre comment on en est arrivé là.
Enfin, si certains sont tentés d’invoquer un possible « transfert » sur les enseignants incriminés, rappelons que le transfert n’invente rien : il ne fait pas endosser à notre interlocuteur des compétences ou des intentions qui n’ont rien à voir avec lui, il ne fait que majorer certaines de ses qualités ou de ses défauts par projection. Autrement dit, le transfert contient toujours une part de vérité, comme l’ont bien montré Searles, puis Lang.
A défaut de poser de telles questions, tout va rester dans ce qu’il est convenu d’appeler la zone grise, et le ressentiment va se creuser. Une zone grise dans laquelle la justice ne peut justement pas statuer, mais qui devrait justement constituer un élément essentiel de la recherche en psychologie.
Si cette question n’est pas posée clairement dans une UER qui se dit vouée à la psychanalyse, la psychanalyse reste-t-elle encore crédible ?