Parler d’humour dans le déroulement des cures psychanalytiques semble à la mode. La théorie freudienne, qui rapporte l’humour au surmoi, est là pour conforter ce point de vue. Le surmoi, dites vous ? Mais n’est ce pas justement l’instance interdictrice et inspiratrice de culpabilité, notre père fouettard intériorisé ? Oui, c’est vrai, mais seulement en partie. Le surmoi n’a pas que cet aspect interdicteur hérité des premières relations de l’enfant avec ses parents, il en a aussi l’aspect apaisant et consolant. Lorsqu’on ne peut rien changer à la réalité d’une expérience pénible, l’humour permet de changer le regard qu’on porte sur elle. Ses instruments privilégiés sont, on le sait, le double sens et le sous entendu.
Le problème est qu’un patient, au cours de son analyse, est plongé dans un état que Freud a appelé « transfert ». Au risque de caricaturer, disons qu’il a tendance à écouter son analyste un peu comme un enfant écouterait un parent. Or un enfant a beaucoup de difficulté, comme tous les parents le savent bien, à manipuler le double sens. Et le patient en analyse va souvent perdre cette capacité qu’il peut pourtant utiliser pleinement dans les autres moments de sa vie. Une patiente, qui avait coutume d’amener à son analyste des articles de journaux sur un certain sujet qu’elle pensait l’intéresser, un jour n’en amena pas. Son analyste lui dit en souriant. « Tiens aujourd’hui, il n’y a pas d’article ». La patiente pensa qu’il en voulait encore et continua donc. A la fin de la cure, son psychanalyste lui appris qu’il avait mal supporté cette situation, et qu’il avait cru, de cette façon, le lui faire comprendre… L’humour, qui consiste souvent à dire une chose pour faire comprendre le contraire, est d’un usage difficile en cure. Les analystes qui ont envie de l’employer feraient bien de s’essayer d’abord entre collègues. Ils y découvriraient les ambiguïtés d’un discours qui se veut subtil parce qu’allusif, et qui n’est souvent qu’une source de quiproquos sans fin.