Le mot de résilience vient du latin Resilio qui signifie rebondir. Il a été utilisé à l’origine pour désigner la capacité d’un objet à retrouver son état initial après un choc (on dirait en sciences humaines un traumatisme) ou une pression continue (on dirait en sciences humaines un stress). Puis il a inspiré de multiples travaux en écologie, en économie, en géographie, et bien entendu en psychologie, où il a reçu successivement quatre définitions (voir blogs du 7 avril et du 28 juin 2012). La dernière la rapproche de l’élan vital qui permet de tenir debout, de travailler et d’aimer, et introduit l’idée d’un processus cyclique comportant quatre moments successifs : la capacité de se préparer à une catastrophe, d’y résister, de se reconstruire après elle et enfin de consolider cette reconstruction. C’est évidemment un grand pas sur le chemin de comprendre la résilience, mais cela reste bien loin de ce qui fait le cœur d’un processus thérapeutique, c’est-à-dire une relation dans laquelle la mutualité et la réciprocité sont au premier plan, même si cette relation n’est évidemment pas symétrique.
La thérapie comme relation mutuelle, réciproque et non symétrique
Un patient vient voir un thérapeute parce qu’il est plongé dans la détresse, qu’il ne parvient pas à donner du sens à sa vie et/ou à nommer un traumatisme qui le hante. Ce n’est évidemment pas le cas de son thérapeute et la relation entre eux n’est donc pas symétrique. Mais les deux partenaires de la relation vont mutualiser leurs efforts. Dans une mutuelle, chacun contribue à la mesure de ses ressources, mais celui qui a besoin de plus d’aide en bénéficie. C’est la même chose au cours d’une thérapie. Les efforts des deux protagonistes y sont comparables, mais les bénéfices qu’en touchent chacun sont adaptés à leur situation : le thérapeute y gagne sa vie tandis que le patient… c’est-à-dire cesse d’y perdre la sienne ! Cette relation mutuelle est également réciproque : le travail partagé est souvent l’occasion pour un thérapeute de progresser dans la compréhension qu’il a de lui-même. Le problème est que cela ne correspond absolument pas à la définition du tuteur de résilience qui, comme le mot « tuteur » l’indique, soutient et conforte sans avoir besoin d’être lui-même soutenu et conforté dans une relation symétrique. Si tel n’était pas le cas, il serait désigné comme un partenaire et pas comme un tuteur !
Un problème de définition
Si nous voulons appliquer la résilience au processus éducatif et thérapeutique envisagé comme un lieu de co-symbolisation impliquant la mutualité et la réciprocité, il faut donc inventer un mot nouveau, par exemple celui de « co-résilience ». La co-résilience deviendrait alors une quatrième façon de penser la résilience. Elle définirait une qualité partagée à un moment donné entre un individu et son environnement de telle façon que ce qui relève de l’initiative de l’un et de l’autre est indécidable, tout comme est indécidable, dans le résultat, ce qui relève de la part prise par chacun.
Le problème est que non seulement cette définition est aux antipodes de la théorie du « tuteur de résilience », mais qu’en plus, il parait bien hasardeux de rajouter une quatrième définition à un mot qui en a déjà trois. D’autant plus que la dernière est subdivisée en quatre concepts différents! Enfin, le mot de résilience continue à faire problème sur un point majeur : on se condamne à ne rien comprendre aux conséquences des traumatismes si on ne prend pas en compte que leur pouvoir est justement de diviser la personnalité en plusieurs fragments qui ne peuvent jamais se ressouder de façon harmonieuse comme ils l’étaient auparavant, liés par la croissance progressive de la personnalité.
Quand le traumatisme juxtapose les contraires
Un traumatisme peut exacerber certaines capacités et favoriser l’engagement dans une nouvelle vie, c’est vrai, mais en même temps, sa victime peut plonger épisodiquement dans les zones de sa personnalité où la blessure reste vivace et agissante. C’est ainsi que la sortie d’un traumatisme peut s’accompagner d’une capacité renforcée de faire face à de nouvelles situations difficiles tout en gardant une sensibilité exacerbée, mais que celle-ci peut aussi se transformer de temps à autres en une sensibilité maladive propre à alimenter des sentiments de persécution, ou des comportements toxicomanes. De telles juxtapositions des contraires sont non seulement possibles, mais elles sont même la règle. Pourquoi vouloir recouvrir d’un mot unique, celui de résilience, l’infinie complexité qui en résulte? N’est ce pas justement cette complexité qui fait le sel de chaque être humain ?