Dubsmash: la stratégie du caméléon

par | 2 janvier 2015 | Actualités, Adolescence, Blog, Culture, Internet

Il parait que Dubsmash, c’est fini. Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité du Net, il s’agit d’une appli qui permet de se filmer au téléphone mobile en train de faire du play-back sur des cris d’animaux, des répliques de films célèbres ou des extraits de chansons connues. Les enregistrements une fois réalisés sont bien entendu postés sur Facebook. Le succès de cette appli a été fulgurant dans la période qui a précédé Noël. L’engouement s’est révélé de courte durée. Chronique d’une fulgurance, d’un désamour, et d’un doute : Dubsmash, est-ce vraiment fini ?

Un prêt à porter d’identités

Pour les ados que je côtoie, Dubsmash, c’est donc fini. Je ne me risquerai pas à contester l’avis d’usagers aussi bien informés qu’eux, mais ce dont je suis certain, c’est que l’état d’esprit qui a présidé au succès phénoménal de cette appli a de beaux jours devant lui. Car ce succès ne s’expliquerait pas sans le goût de plus en plus marqué des adolescents pour le jeu avec les identités et les apparences. Avec Dubsmash, il ne s’agissait plus de se cacher derrière un avatar, mais de se mettre quelques secondes dans la peau d’un acteur, d’un animal, ou d’un chanteur à la mode, bref de se montrer aux amis différent de ce qu’ils peuvent penser qu’on est, et même de ce qu’on pense être soi-même. De ce point de vue, l’intérêt de Dubsmash n’était évidemment pas de faire une séquence d’imitation, mais d’en faire une multitude. Ajoutez à ceci son caractère facile à réaliser, et vous comprendrez son succès… et aussi probablement son caractère éphémère : le tour des rôles possibles à endosser en play-back était vite bouclé.

Une culture théâtrale généralisée

On se souvient qu’il y a quelques années, beaucoup d’adultes craignaient que les adolescents ne prennent goût à l’anonymat sur Internet. C’était l’époque où la possibilité pour chacun de se cacher derrière une identité d’emprunt faisait craindre un monde de communications anonymes. Mais c’était oublier le fait que chaque nouvelle génération tient à inventer ses propres règles, et qu’il n’y avait aucune raison pour que cela se passe différemment sur Internet. Les adolescents d’aujourd’hui sont moins friands de se cacher et plus désireux de montrer qu’ils sont capables de se faire passer pour qui ils ne sont pas. Et la meilleure façon d’y parvenir est de jouer à se mettre en scène, de préférence dans une multitude de rôles. De ce point de vue, Dubsmash n’est que la manifestation la plus récente du goût pour la mise en scène de soi qui domine de plus en plus Internet.

Montrer qu’on est capable de se faire passer pour qui on n’est pas

Jouer un rôle relève d’un état d’esprit bien différent de celui qui préside au fait de masquer son identité. Celui qui joue un rôle de méchant au théâtre ou au cinéma ne cherche évidemment pas à faire croire qu’il est ainsi en réalité, mais plutôt à montrer qu’il est capable de faire semblant de l’être sans l’être. C’est exactement l’état d’esprit de certains « tutos », ces petites vidéos dans lesquelles un ado explique le fonctionnement d’une machine qu’il ne connaît pas toujours très bien, ce qui lui permet de montrer, souvent avec humour, qu’il est capable de se faire passer pour le technicien qu’il n’est manifestement pas. Et c’est la même chose avec ceux qui commentent des jeux vidéo en mimant les intonations et les habitudes sémantiques des commentateurs de sports télévisés.
Aujourd’hui, qui veut se cacher et préserver son intimité ne peut plus chercher l’ombre, parce que l’ombre n’existe pas là où vivent les adolescents, c’est-à-dire sur Internet. Il s’agit au contraire de s’exposer en pleine lumière de manière à se rendre le plus visible possible, mais dans des rôles et des jeux sans cesse différents. C’est la nouvelle manière de se rendre à la fois omniprésent, et insaisissable. Et aussi une façon de préserver son intimité : l’adolescent qui multiplie les mascarades sur Internet est évidemment le seul à savoir à quel(s) rôle(s) il s’identifie, autrement dit qui il est en réalité.