L’adolescent abîmé par l’exposition télévisuelle précoce : la preuve (publié dans le Huffington le 14 sept 2016)

par | 20 septembre 2016 | Adolescence, Blog, Éducation, Jeune enfant, Télévision

Regarder la télévision est un passe-temps commun à beaucoup d’enfants, y compris avant 3 ans, et beaucoup de parents ont tendance à sous-estimer l’importance de cette consommation précoce. Ses conséquences sont pourtant mesurables à l’adolescence, et elles sont très problématiques. C’est ce que montre la dernière étude publiée par l’équipe de Linda Pagani, professeur à l’Université de l’École de psychoéducation de Montréal (1).

Une étude longitudinale unique

Linda Pagani a débuté son étude sur les effets de la consommation télévisuelle précoce en 1997/1998. En 2010, elle a montré que chez les enfants en âge de débuter la marche et passant plus de deux heures par jour devant le petit écran, il existe à 10 ans un risque d’obésité accrue, une baisse de l’intérêt en classe et une diminution des habiletés mathématiques (2). Les enfants étaient globalement moins autonomes, moins persévérants et moins habiles socialement. En outre, une consommation télévisuelle importante augmentait le risque d’être constitué en victime ou en bouc émissaire par les camarades de classe.
Elle vient de donner une suite à cette étude en mesurant les conséquences de cette consommation précoce sur les mêmes enfants âgés maintenant de 13 ans, en se centrant sur les compétences sociales. Pour cela, elle a évalué leurs difficultés relationnelles auto déclarées dans quatre domaines : la tendance à la victimisation, l’isolement social, la tendance à des agressions proactives et les comportements antisociaux. Elle a ensuite croisé ces données avec le temps de consommation télévisuelle précoce, en éliminant de nombreux facteurs de confusion possibles tels que le milieu social.

Des enfants plus portés à l’isolement et au comportement antisocial

Son étude montre que le fait d’avoir eu une consommation télévisuelle importante à l’âge de deux ans et demi accroît, à 13 ans, le risque de victimisation et d’isolement social, et favorise l’adoption d’un comportement violent et antisocial envers les autres élèves. « Les enfants qui ont regardé beaucoup de télévision en grandissant sont plus susceptibles de préférer la solitude, l’expérience de victimisation par les pairs, et d’adopter un comportement agressif et antisocial envers leurs pairs à la fin de la première année de collège ». L’ensemble de ces facteurs expose à des risques supplémentaires de perte de valeur sociale.
Mais comment expliquer ces effets ? Par le fait que la petite enfance constitue un moment particulièrement critique dans le développement des zones du cerveau impliquées dans l’autorégulation de l’intelligence émotionnelle. D’autant plus que dans la petite enfance, le nombre d’heures de veille dans une journée est limitée. Ainsi, plus les enfants passent de temps devant la télévision, moins ils en ont pour le jeu créatif, des activités interactives, et d’autres expériences cognitives sociales fondamentales. Des compétences telles que le partage, l’appréciation et le respect des autres semblent en effet être des acquisitions enracinées dans la petite enfance. Une vie quotidienne active et interactive à l’âge préscolaire aide à développer les compétences sociales essentielles qui seront utiles plus tard, et joue un rôle clé dans la réussite personnelle, sociale et même économique. L’adolescent antisocial qui fuit la relation pour se réfugier dans des pratiques d’écran répétitives et stériles est moins coupable d’abus que bien souvent victime d’une immersion trop précoce et trop massive dans la télévision.

Une indispensable campagne de prévention

Espérons que cette alerte sera entendue. La campagne d’affiches et de conférences intitulées « 3/6/9/12, apprivoiser les écrans et grandir » lancée en 2008 a besoin d’être largement relayée. Les pédiatres et les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer dans cet effort de prévention. Ils ont la confiance des parents et ils peuvent être de puissants relais éducatifs. Il suffirait pour cela qu’ils prennent l’habitude de demander, lors de chaque consultation, combien de temps l’enfant passe à regarder la télévision, et si elle est dans sa chambre, puis prendre quelques minutes pour expliquer aux parents les bienfaits pour l’enfant d’une vie familiale dans laquelle on se parle et où on joue ensemble. Une inscription de consignes de modération sur le carnet de santé serait également bienvenue, ainsi qu’une campagne de l’Institut National pour l’Education à la Santé (INPES).
À oublier que les écrans sont un problème de santé publique dès la naissance, nous risquons de laisser s’installer des situations bien plus difficiles à gérer au moment de l’adolescence.

(1) L. S. Pagani, F. Lévesque-Seck and C. Fitzpatrick, “Prospective associations between televiewing at toddlerhood and later self-reported social impairment at middle school in a Canadian longitudinal cohort born in 1997/1998”, Psychological Medicine, Page 1 of 9. © Cambridge University Press, 2016.
(2) L.S. Pagani, C. Fitzpatrick, A.B. Tracie, A. Dubow, “Prospective associations between early childhood television exposure and academic,psychosocial, and physical well-being by middle childhood”, Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine, 2010.