Comment parler de l’assassinat de Samuel Paty aux enfants ?

par | 30 octobre 2020 | Actualités, Blog, Citoyenneté, Éducation, Internet, Jeune enfant, Terrorisme, traumatismes

Le ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer a prévu que soit rendu dans les classes, le jour de la rentrée, un hommage à la mémoire de Samuel Paty.

Mais il appartient aux enseignants qui désirent aborder ces problèmes plus largement de pouvoir le faire, et aussi aux parents d’être mieux informés pour y parvenir. En famille, il est essentiel de favoriser les questions et les réponses ciblées à chaque tranche d’âge.

Créer les conditions pour entamer une discussion avec votre enfant tout en le laissant maître de l’échange

Quel que soit l’âge de l’enfant, le premier conseil pour aborder ces questions est d’utiliser une phrase la plus neutre possible, de manière à réduire la toxicité des mots employés. Evitons par exemple de parler d’un « fou » ou d’un « acte horrible » : l’enfant risquerait de comprendre qu’il n’y a rien à ajouter à cette conclusion et que les questions qu’il pourrait poser seraient forcément mal venues.

Le deuxième conseil est de poser quelques questions à l’enfant de façon à évaluer quelles représentations il s’est déjà forgées de cet événement. On peut par exemple lui demander : « Tu as entendu parler de cet enseignant qui a été tué par un homme ? » Puis : « Est-ce que tu sais pourquoi cet homme a tué cet enseignant ? » On pourra ainsi confirmer ce qu’il a compris ou bien préciser les choses à partir de ses réponses. Le but est d’éviter d’imposer à l’enfant des représentations trop étrangères à son univers et qui pourraient faire effraction dans son psychisme.

Le troisième conseil est de laisser l’enfant cheminer à son rythme. On n’est jamais obligé de donner toute l’information en une seule fois, et certains enfants peuvent avoir besoin de temps pour s’approprier les informations qui leur sont données. Il est donc important de lui signifier qu’on est là pour lui répondre s’il le souhaite, ainsi pourra-t-il s’autoriser à revenir plus tard avec ses questions.

Enfin, dernier conseil : respecter le fait qu’il ne veuille pas en parler. Les parents peuvent, avec l’excellente intention d’informer l’enfant, lui communiquer des choses terrifiantes et inassimilables. Le but n’est pas de cacher des choses, mais de respecter le fait qu’un enfant n’a pas forcément envie d’entendre parler de ce qui l’angoisse. Pour la même raison, il vaut mieux éviter de mettre un enfant en situation de voir des images auxquelles sans avoir le moyen d’y échapper. Et cela est valable tout autant pour les images du journal télévisé que pour des images trouvées sur Internet. Les images sont toujours susceptibles de choquer, même indépendamment des questions de religion.

Pour les plus petits

N’oublions pas qu’avant quatre ans et demi, il est très difficile aux enfants de concevoir que des expériences différentes du monde puissent amener des représentations elles aussi différentes. C’est ce qu’on appelle « la théorie de l’esprit ». Autrement dit, avant quatre ans et demi, l’enfant ne peut guère raisonner qu’en opposant les méchants aux gentils, et il est inutile de vouloir établir avec lui d’autres formes de compréhension : la nuance ou la complexité du monde ne lui sont pas encore accessibles. C’est pourquoi, à cet âge, il est surtout important de lui signifier qu’on est là pour le protéger. Evitons notamment de lui dire que d’autres actes du même genre peuvent se reproduire. Ce serait courir le risque de l’angoisser excessivement dans une période qui est déjà très inquiétante pour lui du fait de la pandémie et des mesures de confinement.

Avec les plus grands

Posons des questions pour cheminer progressivement avec eux. On peut par exemple demander : « Tu as entendu parler de cet enseignant qui a été tué par un homme ? Sais-tu pourquoi il a été tué ? » Suivant ce que dit l’enfant, on peut alors proposer des précisions : « C’est parce que cet enseignant avait montré des dessins dans son cours, et que cet homme s’était senti blessé par ces dessins ». Ou bien : « Sais-tu ce que c’est qu’une caricature ? » Il est alors bon de resituer la caricature dans le contexte de l’histoire de France, et si l’enfant est d’accord, faire une recherche avec lui sur internet pour lui montrer par exemple les fameuses caricatures de Louis-Philippe en poire ou de Napoléon en ogre mangeur d’hommes. Il est bon aussi d’expliquer quelle est la fonction de la caricature, pourquoi il est important d’avoir la liberté de penser et de dessiner, mais aussi pourquoi la caricature peut offenser. N’oublions pas que la caricature, comme son nom l’indique, est une charge, autrement dit une arme de guerre ! Au fil de cette recherche, l’enfant demandera peut-être à voir les caricatures montrées par Samuel Paty dans son cours. On pourra alors les situer dans une longue tradition de la caricature en France, sans omettre d’expliquer pourquoi elles peuvent blesser certaines personnes.

Mais plutôt que d’insister sur ces caricatures, rappelons à l’enfant que nous avons tous une opinion, que nos opinions peuvent être différentes les unes des autres, mais que rien ne justifie d’agir de façon violente contre autrui parce que son opinion est différente de la nôtre.

Et n’oublions pas que notre enfant peut avoir envie de parler d’autre chose que des caricatures. Restons à son écoute !