Au-delà des affaires de harcèlement sexuel, l’indispensable révolution éducative

par | 13 juin 2011 | Actualités, Blog, Violence

Le projecteur mis actuellement sur les affaires de harcèlement sexuel ne sera utile que s’il incite à mettre en place une politique de lutte contre le machisme ambiant. Nous aurions tort en effet de sous estimer ses racines profondes liées à la particularité du développement psychique des deux sexes, avant d’être largement amplifié par une culture fabriqué par des hommes selon leurs modèles infantiles.
Tout d’abord, les identités sexuées s’organisent de façon fondamentalement différente dès l’age de trois ans à travers l’attachement à la mère et les soins qui l’accompagnent. Les filles s’identifient à la mère soignante (la seule dont elles aient l’expérience) et mettent l’attachement et le souci de l’autre au centre de leur identité. Au contraire, les garçons construisent leur masculinité en opposition au modèle de leur mère : ils s’éloignent du soin et des sentiments qui lui sont liés pour valoriser les valeurs d’autonomie, de domination et de froideur qui leur sont opposés. Ce partage strict est inévitable à partir du moment où l’enfant est élevé par un personnage féminin, et c’est en général le cas puisque les soins sont donnés par la mère et par des nounous dans la sphère familiale, et par des employées dans les crèches.

Mais cette différence ne serait pas aussi importante si elle n’était pas amplifiée par une tradition culturelle qui assimile la femme à une créature versatile à laquelle il serait quasiment impossible de faire confiance : ni dans son pouvoir de dire non à une sollicitation sexuelle – chaque homme devrait donc surveiller étroitement la sienne -, ni dans sa capacité de dire oui – et la conquête de chaque femme s’assimilerait à une chasse à cour où seule la fatigue de résister la ferait finalement céder. De nombreux dictons et conseils témoignent de cet état d’esprit. Parmi les plus softs, citons : « Il vaut mieux risquer une bonne gifle que rater un bon coup » et « Une femme ne dit jamais oui. Quand elle dit non, c’est peut-être, et quand elle dit peut-être, c’est oui ». Côté images, on ne compte pas non plus les films, et pas seulement américains, dans lesquels l’héroïne gifle l’homme qui l’attire brutalement contre lui, avant de lui céder. Et tout le monde a en mémoire la célèbre scène du film d’Hitchcock, Fenêtre sur cour, dans laquelle une jeune femme se désespère de sa solitude, finit par ramener un homme chez elle, le gifle quand il cherche à l’embrasser, puis fond en sanglots de l’avoir chassé. Décidément, se dit le spectateur, cet homme a été bien bête d’abandonner le combat à la première gifle. Il aurait dû la basculer sur le lit, lui arracher ses vêtements, alors probablement le vif désir qu’avait la jeune femme d’être conquise aurait eu raison de sa névrose de refus…

Pour toutes ces raisons, il faut bien reconnaître que la différence entre « viol » et « séduction », essentielle dès qu’une plainte est déposée, ne fonctionne pas si on aborde les choses du point de vue de la psychologie masculine. Un séducteur peut à tout moment se transformer en violeur, et il n’est pas rare que les violeurs soient aussi de grands séducteurs. Ce qu’on appelle pudiquement « séduction » consiste en effet souvent à faire monter l’excitation du partenaire désiré par tous les moyens que celui-ci semble disposé à ne pas refuser : mots, regards, effleurements, caresses… Toute la question est alors de savoir ce que signifie un refus : le séducteur est-il allé trop vite… ou pas assez ? Dans le doute, le séducteur peut décider d’augmenter sa pression. Le résultat est-il une opération de séduction menée tambour battant, ou un viol ? Aujourd’hui, la seule façon pour une femme de faire valoir que c’est de viol dont il s’agit est de porter plainte. Ce qui n’empêchera d’ailleurs pas l’abuseur de penser qu’il est un séducteur abusé. La dame n’avait qu’à être plus claire : hurler, mordre, s’enfuir, que sais-je encore ? Le problème est qu’il faut pour faire tout cela une force de caractère peu commune, qui risque en outre de faire traiter celle qui s’y livrerait de folle furieuse … En outre, nous savons aujourd’hui que certaines personnalités réagissent à l’agression comme ces insectes qui ne voient pas d’autre façon de se protéger que de faire le mort. Le séducteur sait repérer ces proies qui se figeront à la première attaque et lui permettront d’aller jusqu’au bout… en lui permettant de penser qu’il est décidément irrésistible !

Pour dénouer une situation si dangereusement riche de quiproquo, existe-t-il un moyen ? Oui, c’est d’y apporter des correctifs le plus tôt possible. J’en vois trois possibles. Tout d’abord, il est urgent de multiplier le personnel masculin dans les crèches et les écoles maternelles. Ensuite, il faut développer le plus tôt possible ce qu’on appelle l’empathie, qui consiste dans la capacité de se mettre à la place de l’autre. C’est possible dès la Maternelle grâce à une activité appelée le Jeu des Trois Figures par allusion aux trois personnages présents dans la plupart des histoires regardées et racontées par les enfants : l’agresseur, la victime et le redresseur de torts. Son efficacité a été démontrée . Enfin, il faut développer dans les collèges une éducation sexuelle affective basée sur le respect de l’autre et le consentement explicite. Bien sûr, aujourd’hui, cette proposition peut faire sourire. L’idée est en effet solidement installée, chez les hommes comme chez beaucoup de femmes, que le langage des corps est seul à même de régler la question du désir. Le problème est que ça ne marche pas. Le consentement est important parce qu’il fait intervenir autre chose que le désir, à savoir le souhait. Désirer et souhaiter ne sont pas du tout la même chose. Les désirs que nous percevons chez autrui relèvent en effet de leur vie psychique intime : nous pouvons, ou non, y être sensibles. En revanche, leurs souhaits tiennent compte des exigences contradictoires de leur personnalité et de leur environnement, qu’ils connaissent mieux que quiconque et dont ils sont les seuls juges. Nous devons les respecter.