Le bébé, plus encore que l’adulte, rencontre le monde par l’ensemble de ses sens. Preuve en est qu’Il préfère les jouets bruyants à ceux qui sont silencieux, et qu’il les porte en outre sans cesse à sa bouche. La relation du jeune enfant est d’emblée multisensorielle, associant la vue, l’audition, le toucher et l’odorat. Et c’est à travers cette intrication permanente que s’installe à la fois son sentiment d’être « au monde » et « dans son corps ».
Peter Winterstein, pédiatre allemand, a montré, en utilisant le dessin d’enfant, que la construction de la représentation de soi est perturbée par une importante consommation télévisuelle. La consigne « dessine-moi un bonhomme » qu’il propose à tous dans les enfants qu’il voit depuis 30 ans amène un nombre alarmant de corps déformés, amputés, aberrants[[« L’abus de télé tue la créativité », in Courrier International, janvier 2006. Egalement cité par le mensuel Psychologies, janvier 2006.]] … chez les enfants gros consommateurs de télévision
Quant au sentiment de se sentir « au monde », il semble bien affecté lui aussi, comme l’indique une autre étude réalisée sur un échantillon de 55 000 enfants regardant la télévision entre 71 minutes et 108 minutes par jour[[Ibidem. Le même article évoque également les travaux du docteur Manfred Spitzer, neurophysiologiste et directeur médical du CHU d’Ulm (Allemagne) qui confirment le fait qu’un cerveau a besoin de s’approprier le monde par le biais de plusieurs sens en même temps.]]. Cette étude montre en effet que plus ils la regardent et moins ils se sentent faire partie de… leur famille. Les auteurs ne nous disent pas si, en contrepartie, ces enfants là se sentent faire partie de la famille virtuelle constituée par les personnages de leurs séries habituelles, mais je n’en serais guère étonné…
Ces deux études vont en tous cas dans le même sens : l’enfant installé tout petit devant la télévision risque bien d’être privé de ce qui est essentiel à son développement à ce moment-là. C’est qu’un enfant n’est pas un adulte en réduction pour lequel il faudrait adapter les programmes, mais un être qui a une relation au monde bien différente de la nôtre. Il a besoin de bras pour le tenir, de partenaires avec lesquels interagir et de jouets de bois ou de plastique qu’il puisse déplacer à sa convenance.