Beaucoup d’enseignants redoutent cette rentrée 2020, et les élèves ne la redoutent pas moins. Le gouvernement a donné heureusement des consignes claires inspirées par le souci sanitaire. Mais n’oublions pas qu’au-delà de cette rentrée, c’est une année nouvelle qui s’annonce, et que les conditions d’une rentrée sont déterminantes pour la suite de l’année.
Comment faire en sorte, alors, de commencer à poser les bases d’un climat serein pour l’année qui vient, qui associe tous les enfants sans en exclure aucun ?
D’abord, bien sûr, en évitant de parler de « gestes barrières » et de « distanciation sociale », et d’y préférer les expressions « gestes de protection » et « distanciation physique ». Mais si cette attitude est indispensable, elle est bien évidemment insuffisante. Beaucoup d’initiatives seront déployées, demain, ici et là, par les enseignants. Voici quelques idées qui pourront peut-être en aider certains à faire face à une rentrée sans précédent.
Pour les enfants de plus de 11 ans
L’obligation de porter le masque constitue évidemment un défi considérable à la possibilité pour les élèves de se rencontrer et de nouer des liens, surtout pour ceux qui changent d’établissement et vont être confrontés à d’autres enfants qu’ils ne connaissent pas.
C’est pourquoi je propose d’abord que pour les élèves qui entrent en sixième, dans la cour, si la taille de celle-ci le permet, l’enseignant découvre son propre visage pendant une minute et invite chaque enfant à faire de même, de façon qu’il puisse découvrir celui de tous ses futurs camarades. Chacun est invité à regarder les autres, quelques-uns se sourient et des liens commencent à se nouer.
Une fois en classe, il est important de débuter l’année en valorisant l’analogie de la situation des enfants avec celle des adultes. Leur expliquer que s’ils portent un masque comme leurs parents, c’est parce qu’ils sont « grands ». C’est une façon de faire appel à leur intelligence et de les responsabiliser tout en les valorisant.
Je propose aussi que les enseignants montrent leur visage quelques secondes, mettent une photographie d’eux dans la classe, et que les élèves qui restent à la même place dans leur classe mettent eux aussi une photographie de leur visage sur leur bureau. Les enfants côte à côte se familiariseraient ainsi beaucoup plus vite avec leurs visages respectifs. Cela n’exclue évidemment pas le traditionnel trombinoscope collé sur un mur de la classe, mais qui présente l’inconvénient de ne pouvoir être consulté qu’en entrant ou en sortant.
Ensuite, il serait utile qu’un enseignant, en concertation avec les autres, prennent cinq à dix minutes pour inviter les enfants à faire des exercices de reconnaissance des émotions en se guidant sur la seule partie haute du visage. En effet, dans notre culture, l’identification des mimiques, et donc des émotions de nos interlocuteurs, se déroule en observant de façon préférentielle la partie basse de leur visage. D’autres cultures, comme la culture japonaise, privilégient au contraire la partie haute, et cela montre qu’il s’agit d’un apprentissage social. Il est important, compte tenu d’une situation qui risque de durer, de faire en sorte que les enfants deviennent capables d’identifier les émotions de leurs interlocuteurs en observant leur front et leurs yeux. Pour cela, l’enseignant donne à son visage, dont la partie basse est cachée par le masque, une émotion que les élèves sont invités à imiter, puis à deviner, chacun d’entre eux gardant évidemment son masque sur son visage pendant tout l’exercice.
Enfin, il est important que les enseignants comprennent que la situation les oblige à être beaucoup plus présents avec le corps, les mimiques et les intonations qu’ils ne le sont habituellement. N’oublions pas que certains enfants se guident sur les lèvres de leur enseignant pour suivre le cours, et que, pour beaucoup, ce mouvement des lèvres est un repère important qui relance leur attention. Dans la mesure où cela ne sera plus possible compte tenu du masque, l’enseignant ne doit pas hésiter à bouger plus, à faire des gestes plus amples, à adopter des intonations plus contrastées et plus théâtrales, à accentuer les mimiques de la partie haute de son visage de façon à rappeler régulièrement l’attention des élèves sur lui. Et pour la même raison, les enseignants devront apprendre à utiliser beaucoup plus de ressources visuelles qu’ils ne le font habituellement, et à inviter beaucoup plus souvent les élèves à prendre la parole, à faire des exposés et à poser des questions, toujours dans l’idée de relancer leur attention.
Pour les enfants de moins de 11 ans
Plus encore que pour les enfants plus grands, il est important que l’enseignant montre son visage en début d’année et et mette une photographie dans la classe. L’idéal serait de présenter les consignes sanitaires comme une sorte de défi. Il est dommage que le ministère n’ait pas proposé un récit fictionnel que les enseignants pourraient adapter à leur classe : une sorte de fable par laquelle les enfants seraient invités à adopter les comportements prescrits comme un défi.
Afin que les enfants se familiarisent avec la lecture des émotions dans la partie haute du visage nécessaire à la qualité de leurs relations avec les adultes, notamment avec leur enseignant, il serait également important que celui-ci prenne cinq à dix minutes chaque jour pour leur faire réaliser des exercices de mimiques en tenant chacun l’une de leurs mains sur la partie basse de leur visage, afin qu’ils s’exercent à identifier les émotions à partir de la partie haute seulement.
En conclusion,
Cette crise sanitaire et humanitaire que nous traversons est évidemment une catastrophe. Mais ce que nous pouvons y apprendre pourra, dans le domaine scolaire comme dans bien d’autres, être utile à ce que nous deviendrons lorsqu’elle sera terminée. Elargir chez les enfants la compréhension des mimiques à la partie haute du visage, les associer beaucoup plus activement au déroulement des cours, les inviter à utiliser les outils numériques chez eux tout en maintenant la classe en présentiel de façon à les familiariser avec la classe inversée, voilà autant de changements souhaitables dans la situation actuelle pour assurer l’efficacité de l’enseignement, et qui permettront demain aussi de mieux l’adapter à l’évolution des élèves, et à leurs attentes.