Un évènement personnel a probablement joué un rôle majeur dans mon intérêt pour les jeux vidéo. C’est l’expérience personnelle précoce que j’ai eue de la maladie. Etait-ce vrai ou pas, je n’en sais rien, mais j’ai grandi avec l’idée que mes os étaient très fragiles et que je devais me tenir à l’écart de toutes les activités communes aux petits garçons de mon âge. Mon père me parlait régulièrement de la maladie des « os de verre » et j’ai longtemps cru en être atteint. Je m’imaginais dans une coquille de plâtre avec seulement la tête et les mains qui sortent. Je pensais que c’était mon destin, convaincu que tous les médicaments que je prenais pour me fortifier n’y feraient rien. Cette façon d’éprouver mon corps comme extrêmement vulnérable m’a probablement rendu sensible à tout ce qui pourrait le prolonger et lui permettre d’agir à distance. Modifier mon environnement par la parole, l’écriture ou le dessin, en évitant tout corps à corps, a été fondamental dans mon rapport au monde. J’ai grandi en ayant confiance dans les médiations parce que je n’avais pas confiance dans mes propres moyens physiques. C’est pourquoi la découverte que dans les jeux vidéo, un personnage – on dit maintenant un avatar – agit à notre place m’a immédiatement séduit. Bref, je suis entré dans le monde des avatars en étant moins sensible à la façon dont ils peuvent être pour nous des guerriers combattants que des carapaces et des protections – ce que les psys appellent un pare excitation. S’avancer à l’abri d’un avatar, pouvoir interroger le monde sans risquer d’être agressé par lui et pouvoir voyager sans quitter ma chaise restent pour moi des plaisirs d’autant plus grands qu’ils sont enracinés dans les habitudes de ma petite enfance. Tout cela fait sans doute partie de ce qu’un philosophe appellerait mon « être au monde ».
« A quelque chose, malheur est bon », entendais je dans mon enfance. C’est sans doute cette histoire personnelle qui m’a permis de comprendre très vite l’usage thérapeutique que certains enfants peuvent tenter de faire de leurs jeux. Le parent ou le pédagogue qui regarde un enfant jouer avec un chevalier lourdement armé est plus sensible à ses armes offensives que défensives. Et pourtant, apprendre à résister aux coups que l’on reçoit est aussi important dans ces jeux que d’en donner. Et c’est souvent en se découvrant capables d’en recevoir que certains jeunes acquièrent une plus grande confiance en eux-mêmes. Ils se protègent derrière un avatar parce qu’ils peuvent difficilement concevoir de s’avancer protégés derrière une figure maternelle ou paternelle. Mais l’avatar leur permet de s’en construire progressivement l’image.