Enseignants et élèves au défi d’apprendre l’IA, avec l’IA et de l’IA

par | 20 mars 2025 | Actualités, Blog, Éducation, Intelligence Artificielle, Numérique

La Ministre de l’Education nationale a prévu une formation en ligne à l’IA disponible à la rentrée 2025 pour tous les élèves du secondaire, ainsi que des programmes à destination des enseignants. C’est une initiative excellente. Mais si on souhaite s’appuyer sur cette technologie pour adapter l’institution scolaire aux contraintes du XXI -ème siècle, ce n’est pas suffisant. Dans la mesure où l’IA peut être utilisée pour le meilleur comme pour le pire, ce n’est pas de l’outil dont nous devons partir, mais des valeurs que notre société compte promouvoir avec lui.

Les imaginaires de l’IA

L’IA est en effet porteuse de valeurs très contradictoires. Son imaginaire recouvre quatre champs dans lesquels des concepts s’opposent terme à terme. Le premier champ concerne le désir d’une puissance toujours plus grande opposée à une recherche de collaboration. Le second oppose la crainte d’une surconsommation de produits numériques à l’espoir d’une augmentation d’égalité des chances : grâce au numérique, l’enfant de milieu défavorisé a virtuellement accès aux mêmes bases de connaissance que les enfants de milieux favorisés. Le troisième champ de l’imaginaire associé à l’IA concerne le fait qu’elle peut être envisagée tout aussi bien comme un vecteur de ré-invention pédagogique que comme un accélérateur d’acquisition des compétences permettant d’enseigner les disciplines de base avec des élèves trop nombreux et de niveaux très différents. Enfin, comme le montrent les discours des personnalités politiques et des industriels, l’IA est tantôt considérée comme une ressource à exploiter pour « stimuler la croissance économique et sociale », et d’autres fois comme une richesse commune dont l’accès et l’utilisation doit correspondre aux principes démocratiques, y compris de sobriété.

Il est bien évident que c’est du côté de l’IA comme bien commun que l’institution scolaire doit se tourner car c’est dans son sillage que peuvent être valorisés l’esprit de collaboration, l’égalité des chances et la reconnaissance de la singularité de chacun. En pratique, elle doit pour cela se donner trois objectifs : apprendre l’IA, apprendre avec elle et apprendre d’elle.

Apprendre l’IA

C’est d’abord familiariser les élèves avec ses imperfections (bases de données insuffisantes, algorithmes opaques, hallucinations, incapacité à différencier entre des informations authentiques et des fake news, etc.), mais aussi mettre en garde contre la désinformation, les utilisations malveillantes et les risques de cyber hacking. Sans oublier les contraintes de l’IA frugale.

Apprendre avec l’IA

Cela recouvre aussi plusieurs domaines. D’abord, elle va bouleverser nos pratiques professionnelles à la fois dans les domaines de l’information, de la communication et de l’engagement dans des pratiques professionnelles partagées. Il va falloir apprendre à poser une question, à diversifier ses sources d’information, à comparer les façons de répondre de plusieurs IA, de découvrir comment elles peuvent nous aider à rédiger.

Bien entendu, cela comporte aussi un risque : celui que certains délèguent à ces technologies leurs capacités d’expression, de mémoire et d’imagination, avec l’éventualité de « désapprendre ». En effet, des élèves – et tout autant des adultes – peu à l’aise avec l’écrit ou qui ne maîtrisent pas correctement une langue risquent d’être tentées, pour pallier l’angoisse de la page blanche, de s’épargner un temps de réflexion, et de demander d’emblée à une IA de donner son avis à leur place. L’IA rend indispensable d’inviter les élèves à prioriser ce qui vient d’eux-mêmes. Mais pour prêter attention à ce qui vient de soi, il faut s’estimer suffisamment. L’IA rend donc indirectement nécessaire que les enseignants accordent plus d’importance à la construction de l’estime de soi des élèves qu’ils ne le font actuellement. Cela devrait passe notamment par la valorisation des compétences acquises en dehors de l’école, qui sont aujourd’hui massivement ignorées. Car c’est souvent à travers de telles activités que les élèves en difficulté soutiennent leur estime d’eux-mêmes malmenée par leurs résultats scolaires.

Apprendre de l’IA

C’est utiliser les IA génératives multimodales pour cultiver l’intelligence visuelle, les formes de narration non linéaire, et la diversification des moyens d’expression. Les moyens ne manquent pas, qu’il s’agisse de présenter/résumer un travail écrit sous la forme d’une bande dessinée, ou même d’un petit film.

Des enseignants s’inquiètent que leur place se réduise peu à peu à n’être qu’un prescripteur de l’IA la plus adaptée à une activité, ou aux difficultés spécifiques d’un élève. Mais ce serait oublier que la pédagogie n’est pas un dispositif d’enseignement, mais un processus de formation. Dans le premier, l’élève est invité à augmenter ses connaissances et ses performances. En revanche, dans un processus de formation, l’élève est invité à s’identifier à l’enseignant, à sa curiosité et à sa créativité. Et cela suppose de valoriser ses émotions, les mises en commun d’expériences qui confrontent à la multiplicité des points de vue, et les questionnements des élèves inspirés de ce qu’ils trouvent sur Internet.

Certains le font déjà, d’autre ne savent pas comment s’y prendre, et d’autres encore craignent, à s’engager sur cette voie, de perdre le contrôle sur leurs élèves. C’est pourquoi, si elle veut ne laisser personne au bord du chemin, l’institution scolaire doit permettre aux enseignants d’expérimenter un rapport plus collaboratif aux élèves sur des temporalités limitées. Associées à des communautés de partage d’expériences et d’entraide autour de l’IA, ces fenêtres permettraient d’organiser un accompagnement à l’appropriation, éventuellement supervisé par des référents numériques. Enseignants et élèves pourraient y apprivoiser de nouvelles façons de travailler ensemble : travail collaboratif, tutorat entre élèves, pédagogie de projet, tout cela en lien avec un usages vertueux des IA.

Bien utilisée, l’IA est une formidable opportunité pour créer des méthodes d’apprentissage plus interactives, plus inductives, et finalement plus ludiques, auxquelles les enseignants et les élèves ont tout à gagner.