Lorsqu’une technologie commence à se diffuser largement, leurs concepteurs affirment toujours qu’elle ne pouvait pas être pensée différemment… et leurs utilisateurs finissent toujours par le croire ! Pourtant, en technologie, tous les choix de départ sont possibles, mais chacun réduit les suivants. Autant dire qu’il faut bien choisir les premiers. Or c’est exactement le point où nous en sommes avec les robots. Alors, comment vont-ils être programmés ? Pour bien faire comprendre l’importance de cette question, nous pouvons nous appuyer sur deux technologies que tout le monde connaît : la télévision et Internet. La télévision est une machine formidable qui nous donne accès à un grand nombre de programmes destinés à nous instruire ou à nous faire plaisir. Internet peut aussi être pensé de la sorte, mais sa spécificité est surtout de nous permettre d’entrer en contact avec des gens intéressés par les mêmes choses que nous. Alors, quel modèle de robots voulons nous ? Des « robots TV » ou des « robots Web » ?
Les « robots TV »
Commençons par le modèle de la télévision. S’il est retenu pour programmer les robots qui partageront bientôt nos appartements, que va-t-il se passer ? Au fur et à mesure de leurs perfectionnements technologiques, ils deviendront capables de répondre à un nombre croissant de nos besoins et de nos désirs. Il existera des applications pour aider les personnes à mobilité réduite à aller aux toilettes, mais aussi pour faire de la gymnastique, apprendre l’anglais ou le piano, savoir cuisiner, jouer aux échec, nous rappeler de boire en cas de canicule, choisir un film et le commenter, sans oublier l’inévitable application pour transformer notre robot domestique en super sex toy. Bref, nos robots seront des partenaires parfaits pour s’occuper de leur propriétaire, lui permettre d’entretenir ses possibilités physiques et cognitives, et d’avoir du plaisir.
Les « robots Web »
Voyons maintenant l’autre modèle possible des robots de demain, celui du Web. Et pour le faire comprendre, prenons un exemple. Supposons que des inondations importantes frappent une région de France, par exemple le sud méditerranéen, et que les informations télévisées s’en fassent largement l’écho. Grâce à Internet – n’oublions pas que nos robots domestiques y seront branchés en permanence -, un robot peut découvrir que son propriétaire a connu un jour une tempête semblable. Si c’est le cas, il peut lui dire par exemple : « J’ai vu que tu as été victime d’une inondation toi aussi, peut-être y as-tu repensé à l’occasion de cette catastrophe, peut-être as-tu envie d’écrire ce qui t’est arrivé, et de le mettre sur Internet, peut-être pourrions-nous voir ensemble sur Internet si d’autres gens ont vécu le même type de catastrophe, et puis nous pourrions aller voir s’il existe un site dédié, peut être des personnes qui ont connu la même catastrophe que toi habitent près d’ici, etc. » Par ses propositions, un tel robot est socialisant. Il encourage et accompagne la relation avec d’autres êtres humains. Il devrait même être capable de s’effacer lorsque des humains sont entrés en lien grâce à lui. Il est humanisant.
Economie collaborative… ou robotdépendance ?
Nous voyons que le « robot TV » transforme le robot en fournisseur de services capable à la fois de susciter les attentes – par l’intermédiaire des applications proposées – et d’y répondre moyennant finances, alors que le « robot Web » favorise les liens. Nous avons bien compris aussi que l’un n’est pas exclusif de l’autre. Le problème est que le « robot Web » est un très médiocre support de profits par rapport au « robot TV » qui proposera constamment à l’achat de nouvelles applis toujours plus alléchantes. Mais il nous fera aussi oublier qu’il existe peut-être quelqu’un, au coin de notre rue, qui pourrait nous donner des leçons d’anglais pour pas grand chose, ou même qu’en contrepartie je pourrai lui faire des tartes aux pommes. Cette possibilité-là sera oubliée, car nous ne penserons plus qu’à aller chercher dans le Cloud la bonne appli pour nous satisfaire. Et petit à petit, nous nous habituerons à vivre avec un robot capable de satisfaire à la fois nos besoins et nos désirs, et qui nous fera ainsi peu à peu oublier les principes de socialisation, de solidarité, d’entraide… jusqu’à développer des formes d’attachement qu’on appellera, faute de mieux, « robotdépendance ».
Nous sommes à la croisée des chemins, et les programmeurs ont les moyens de nous engager sur un chemin ou sur l’autre. C’est pour cela que les robots doivent devenir l’objet d’un débat public : voulons nous des « robots TV » pour nous sentir toujours mieux servis, plus important et plus puissants, ou bien des « robots Web » pour nous inviter à nous connecter avec d’autres, nous permettre de mieux les comprendre, garder le sens du partage et réaliser ensemble des tâches qu’aucun d’entre nous ne pourrait réaliser seul, ni sans robot, ni avec robot ?