Captain America : Civil War – Une histoire d’allégeance et de rivalité familiale

par | 2016 | 2016, Chronique de Cinéma

Captain America : Civil War[1]

Une histoire d’allégeance et de rivalité familiale

Connaissez-vous Captain America[2] ? C’est l’un des nombreux super-héros imaginés dans la seconde moitié du XXe siècle, aux côtés de Spiderman, Hulk et quelques autres. Leur retour au cinéma participerait-il du mouvement rétro-nostalgique à la mode aujourd’hui ? Pas du tout ! Car ceux qui ont connu ces personnages de bandes dessinées dans leur enfance sont trop âgés pour s’y intéresser aujourd’hui. Il faut donc chercher la raison de ce succès ailleurs. Elle se trouve, à mon avis, dans le fait que ces super-héros sont ce qu’il est convenu d’appeler des « humains modifiés ». Certains doivent leurs pouvoirs exceptionnels à des substances chimiques, d’autres à des technologies robotiques avancées et d’autres encore à des accidents… Autrement dit, les spectateurs ne voient pas en eux les héros de leurs grands-parents, mais les modèles plausibles des combattants de demain, et c’est cela qui les fascine ! Pourtant, rassurez-vous, ce n’est pas de guerre du futur dont il va être question dans ce qui suit, mais d’histoires de familles !

 

  1. Les humains de demain

Tous les super-héros ont vécu des événements extraordinaires qui leur ont conféré des pouvoirs fabuleux. Chez plusieurs d’entre eux, il s’agit d’une substance administrée en secret par l’armée américaine à certains soldats pour les rendre invincibles : le fameux « Sérum du Super-Soldat », en abrégé S.S.S. C’est notamment le cas de Captain America et de son meilleur ami Bucky Barnes. D’autres ont été modifiés grâce à des perfectionnements technologiques, comme Iron Man, doté du premier exosquelette[3] que l’humanité ait imaginé. Enfin il existe des super-héros augmentés par accident, comme Spider-Man, cet adolescent timide et fragile qui acquiert des pouvoirs exceptionnels après avoir été piqué par une araignée radioactive, ou de Hulk, soumis à des radiations intenses après une explosion atomique. Mais quelle que soit l’origine de leurs modifications, tous ces personnages appartiennent à une même famille, celle des super-héros.

Le mot « famille » a en effet plusieurs significations. Il désigne bien entendu les familles biologiques, constituées de pères, mères, frères et sœurs, mais il désigne aussi les familles symboliques : professionnelles, politiques, syndicales, etc. Or toutes ces familles ont un point commun : elle s’organise autour de trois ingrédients. Le premier est une autorité acceptée par le groupe, dont l’un des membres est le garant : dans la famille biologique, il s’agit généralement du père ou, à défaut, du frère aîné ; dans la famille symbolique, il s’agit d’un membre élu par le groupe, ou reconnu par lui pour son charisme et son autorité. Le second ingrédient est la conviction partagée que tout affrontement fratricide provoquerait un effondrement de l’intérieur du groupe. Enfin, le troisième ingrédient, propre à la famille biologique, est l’interdit de l’inceste, qui oblige les différents membres du groupe à choisir leur partenaire à l’extérieur, pour éviter un repliement de la famille sur elle-même.

La famille des super-héros est cimentée par les deux premières de ces règles. Captain America Civil War nous raconte précisément ce qui arrive quand le père est assassiné par l’un des enfants et que les frères et sœurs s’entretuent.

 

  1. Généalogie des super-héros

Le film d’Anthony et Joe Russo commence par faire un retour en arrière, dans les années 1960. Nous retrouvons le « père » des super-héros, l’ingénieur Howard Stark, qui a présidé à l’administration du S.S.S., et conçu le célèbre bouclier de Captain America, doté de pouvoirs technologiques extraordinaires. Les forces spéciales russes ont réussi à capturer l’un des humains qu’il a modifiés, Bucky Barnes. À la suite d’un lavage de cerveau, elles ont fait de lui le pire ennemi de l’Amérique, qui lui vaut le surnom de Soldat de l’hiver. Sa première mission consiste à dérober à Howard Stark les dernières pochettes de sérum S.S.S, et à le tuer, pour empêcher les États-Unis de fabriquer d’autres super-héros. Bucky Barnes précipite donc la voiture du couple Stark contre un arbre, assassine le savant – son propre « père symbolique » – et s’empare des précieux échantillons. Avant de mourir, Howard le supplie de laisser sa femme en vie, mais Bucky étrangle celle-ci, tandis que la scène est filmée par une caméra de vidéo surveillance.

 

  1. Un affrontement fraticide

Voici donc posée l’intrigue parricide. L’intrigue fratricide va suivre. Vingt-cinq ans plus tard, le fils des deux victimes, Tony Stark, a pris la succession de son père à la tête de son usine d’armement ultrasophistiqué, et, en concevant le premier exosquelette, il est devenu Iron Man. Il sait que son père a été assassiné, mais il ne sait ni par qui ni comment. La tragédie va être mise en route par Helmut Zemo, un simple civil dont le père, la femme et le fils ont été tués dans une opération militaire menée par les super-héros contre le Soldat de l’hiver. Cet homme sait qu’il est impossible de vaincre les super-héros tant qu’ils sont unis. Il va donc faire en sorte de les dresser les uns contre les autres.

Mais avant qu’il n’y parvienne, un autre facteur de division apparaît entre eux. Scandalisée par les morts civils provoqués partout dans le monde par les interventions des super-héros, l’ONU exige de placer leurs actions sous contrôle international. Captain America s’y refuse : il ne veut dépendre d’aucune autorité et se donne le droit d’intervenir partout où il pense que le monde est menacé. A l’opposé, Tony Stark, alias Iron Man, tente de s’imposer comme le « père » modérateur du groupe. Lui-même est le seul super-héros à avoir bénéficié d’un père responsable et reconnu. Il veut empêcher que la famille des super-héros se divise en deux factions rivales, et leur demande d’accepter les conditions posées par l’ONU. Captain America refuse et convainc d’autres super-héros de l’imiter. Il en résulte un formidable combat entre Wanda Maximoff, le Faucon, Ant Man et Hawkeye opposés à Iron Man, Black Widow, Vision, Spider-Man, War Machine et La Panthère noire. Vous êtes perdus ? Ça n’a aucune importance. Vous n’avez pas besoin de vous souvenir de leur nom car l’apparence de chacun est si différente de celle des autres que vous les reconnaissez aussitôt sur l’écran. C’est tout l’intérêt du cinéma par rapport au roman !

Mais un second conflit vient rapidement enflammer celui-ci. Helmut Zemo montre à Tony Stark la vidéo dans laquelle Bucky Barnes assassine sa mère et son père avec le bras robotisé que lui a fabriqué celui-ci. Le fils décide de venger ses parents. Œil pour œil, dent pour dent, Bucky Barnes doit mourir.  Mais, rappelons-le au lecteur qui a peut-être de la difficulté à suivre, Bucky avait pour meilleur ami, avant d’être retourné par les services secrets russes, Captain America lui-même… Celui-ci se range du côté de Bucky et s’oppose à Tony Stark avec les armes que Howard Stark lui a fabriquées. « Rends-les-moi, c’est mon père qui te les a données », crie celui-ci. La guerre civile a commencé. Pour Stark, un humain dont le cerveau a été modifié par des techniques de manipulation mentale reste responsable de ses actes. Pour Captain America, ce n’est pas le cas. Leur combat, qui promet de durer longtemps, s’achève sur un match nul. Mais que les fans se rassurent, le producteur a prévu une suite !

 

  1. Une vision très sombre

La vision du monde véhiculée par ce film est très sombre. La guerre n’a pas de fin, car chaque mort appelle le désir d’une nouvelle vengeance. C’est le système de la dette de sang, élevée à l’échelle des Nations. Toute intervention censée régler un problème humain par la violence engendre la violence en retour. Chaque héros n’est mû que par une seule force : venger ses parents, morts dans des conditions traumatiques. Tony Stark s’engage dans une guerre fratricide contre Bucky Barnes et son protecteur, Captain America. Helmut Zemo qui provoque l’affrontement des super-héros veut venger la mort de son père, de sa femme et de son enfant, et devient un terroriste. Quant à la Panthère Noire, il est mu par le désir de venger la mort de son père, tué par la bombe de Helmut Zemo. Ainsi, de vengeance en vengeance, la famille meurtrie apparaît-elle comme la cause principale des conflits qui ensanglantent le monde. Chacun ayant une bonne raison de riposter contre une perte jugée irrémédiable, la série n’est pas prête de s’arrêter !

 Mais si la guerre civile est ravageuse pour toutes les familles humaines, qu’elles soient biologiques ou symboliques, en brandir la menace est déjà, en soi, une façon d’instiller du poison dans les relations familiales : l’idée que chacun puisse être trahi par un conjoint, un frère, un parent… Il y a des expressions qui font le lit des catastrophes dont elles prétendent seulement annoncer l’arrivée. « Guerre civile » est de celles-là. Certains alarmistes l’ont prononcée en France, il y a quelques mois, sans envisager le mal qu’ils pouvaient causer. Les mots aussi peuvent diviser.

[1] Film américain réalisé par Anthony et Joe Russo (2 h 28 min), sorti en France en avril 2016, avec Chris Evans, Robert Downey JR et Scarlett Johansson.

[2] Créés en 1940 par le dessinateur Jack Kirby et le scénariste Joe Simon, les aventures de Captain America, super-héros patriotique, sont éditées par Marvel Comics.

[3] Structure externe motorisée qui assiste les mouvements du corps.