Kubo et l’armure magique

par | 2016 | 2016, Chronique de Cinéma

Kubo et l’armure magique

Imaginez un garçon doué du pouvoir de transformer en créatures vivantes les origamis qu’il fabrique. Il lui suffit de prendre son shamisen, ce grand luth japonais au manche effilé, pour que des feuilles de papier coloré s’enroulent, se plissent et s’organisent en créatures autonomes et facétieuses : samouraïs, poules qui crachent du feu et tirent des boulets de crotte, requins et monstres en tout genre se déploient alors en trois dimensions.

 

Un monde d’origamis

Imaginez maintenant un groupe de créateurs amoureux du papier, de la matière, de la couleur, et vous aurez l’explication du succès tant mérité du film Kubo et l’armure magique. Après Coraline, film terrifiant sur une sorcière qui vole les yeux des enfants, le studio américain Laika nous offre une variante du même thème. Kubo n’a qu’un seul œil : l’autre lui a été dérobé par son grand-père qui, sans le dévouement sacrificiel de son père, lui aurait même pris les deux ! Autant dire que Kubo et l’armure magique nous raconte l’histoire d’une famille pas comme les autres.

En effet, l’aïeul n’est autre que le roi de la Lune. Et, comme tout roi, il est soucieux de protéger ses pouvoirs. Pour n’être jamais pris en défaut, il envoie ses trois sorcières de filles exécuter les samouraïs qui deviennent trop puissants. L’un d’entre eux, Enzo, s’apprête à entrer en possession de trois équipements militaires sensés rendre invulnérable leur propriétaire : l’épée qui ne se brise jamais, l’armure magique et le casque indestructible. Il doit donc mourir. Le Roi de la Lune lui adresse l’une de ses filles. Ici commence le secret dont le spectateur découvrira peu à peu le sens, et les enjeux…

Il est difficile de commenter un film tout entier construit sur un secret de famille sans risquer de révéler ce qui ne doit l’être qu’à la fin. Essayons pourtant d’en dire un peu plus, sans tout gâcher, pour permettre au lecteur de comprendre en quoi ce film est une formidable parabole sur la filiation et la nécessité de rompre avec les contraintes familiales imposées par des traditions ancestrales.

 

De la recherche du père aux parents adoptifs

Kubo est élevé par sa mère seule. Elle lui a expliqué qu’il ne doit jamais sortir de la maison la nuit ni quitter le kimono de son père défunt – bien que celui-ci soit trop grand pour lui –, et qu’il doit toujours garder dans son sac une amulette représentant un petit singe. Kubo s’en acquitte le mieux possible jusqu’au jour où, dans le village où il anime ses origamis pour gagner un peu d’argent, se déroule la fête annuelle des ancêtres. Chaque famille fabrique un ou plusieurs lampions, que la flamme des ancêtres vient habiter. Kubo rêve d’entrer en contact avec son père et construit un lampion devant lequel il s’agenouille et prie. Mais nulle lumière ne vient l’éclairer et le garçon a le sentiment que son père refuse de communiquer avec lui. Entretemps, la nuit est tombée et l’effroyable prédiction de sa mère se réalise : ses deux tantes surgissent pour lui prendre l’œil qui lui reste et l’apporter au roi de la Lune. Contrairement à leur sœur, vêtue de tenues multicolores, elles sont habillées en noir et se disent en deuil. De qui ? De la mère de Kubo, justement, qui les a trahies en décidant de mener une existence humaine et terrienne, au point de concevoir un enfant avec un homme. Des monstres tentent d’immobiliser Kubo et seule l’intervention de sa mère, tout autant sorcière que ses sœurs, lui permet de leur échapper : le blason de son père brodé au dos de son kimono représente un scarabée, auquel un geste maternel fait pousser des ailes qui lui permettent de s’envoler.

S’ensuit alors le récit d’un voyage initiatique qui mène Kubo de monstres en merveilles et d’énigmes en sortilèges. Il sera aidé tout au long de cette quête par deux personnages qui se comportent vis-à-vis de lui comme des parents adoptifs : un singe maternel et attentif et un ancien samouraï transformé en scarabée par un mauvais sort, à la fois touchant et maladroit mais courageux et dévoué.

 

La quête de l’armure magique

Mais le roi de la Lune est puissant et ses deux filles ont de grands pouvoirs. Kubo ne pourra leur échapper que s’il s’empare à son tour de l’armure magique, de l’épée incassable et du casque indestructible : ces trois pièces d’orfèvrerie militaire sont la clé de son salut. Bien entendu, il y parviendra. Muni de l’équipement complet du samouraï invincible, il se retrouvera confronté au roi de la Lune lui-même et découvrira que son grand-père ne veut nullement faire son malheur. Quand on est immortel, on ne se soucie pas d’avoir une descendance mortelle : le roi de la Lune a eu trois filles, toutes trois immortelles. Mais l’une d’entre elles, la mère de Kubo, en a décidé autrement. Elle est tombée amoureuse d’un morte, et a conçu avec lui un enfant, qui est donc moitié créature de la terre et moitié magicien de la Lune. Le Roi de la Lune veut l’intégrer dans sa dynastie, mais pour cela, Kubo doit accepter de perdre son second œil et de devenir aveugle. Être homme ou être dieu, mortel ou immortel, telle est la question… Une question d’actualité, puisqu’elle agite les partisans de que l’on appelle aujourd’hui le « transhumanisme ». Leur objectif est de rendre l’homme immortel, un objectif dont on aurait tort de rire quand on sait que des institutions aussi puissantes que Google, Facebook, et Tesla financent largement les projets destinés à y mener…

 

 

Mais revenons à Kubo. Si le roi de la Lune se présente comme un vieillard affable, souriant et calme, le refus que lui oppose son petit-fils le transforme en un horrible monstre dont les attaques répétées privent bientôt l’enfant de son épée incassable, puis de son casque censé le rendre invincible. Kubo comprend alors que ce n’est pas en cherchant protection dans cette sorte d’exosquelette qu’il pourra se défendre, mais en tissant les fils d’un amour humain. Il quitte l’armure qu’il a eu tant de peine à se procurer et remplace hâtivement les cordes de son shamisen par un cheveu de sa mère, un des siens et une cordelette ayant appartenu à son père. De son instrument de musique s’élèvent alors des sons qui tiennent à distance toute force maléfique. D’autant mieux que Kubo convoque à son secours les ancêtres du village, des humains morts, mais toujours présents dans la mémoire de ceux qui leur survivent. Telle est la morale du film. Kubo lutte contre des monstres et des magiciens en revendiquant le simple statut d’humain, mortel et vulnérable, mais capable d’aimer. Comme si seule la capacité de souffrir soi-même permettait d’être sensible à la souffrance des autres, donc d’aimer. Un éloge de l’amour, en quelque sorte, mais aussi de la famille : car les trois cordes que Kubo a attachées à son shamisen représentent les trois brins d’une famille nucléaire : le père, la mère et l’enfant. Beaucoup d’éléments dans le film, d’ailleurs, résonnent avec le chiffre trois : les trois pièces de l’armure magique, les trois filles du roi de la Lune, et bien d’autres choses encore. Certes, Kubo n’a pas bénéficié longtemps lui-même d’une famille nucléaire aimante et protectrice, mais il s’en est construit un équivalent, avec ses deux compagnons de route pour commencer, puis, à partir d’un simple cheveu de sa mère et d’un morceau de cordelette de son père. Aucune force de la nuit et de la mort ne peut rien contre ces trois cordes lorsqu’elles vibrent à l’unisson. La résilience, c’est-à-dire la capacité de résister à des épreuves terribles, s’organise parfois autour de simples objets capables de rendre présents des êtres chers disparus.

C’est ce que nous raconte un autre film d’animation, que je vous conseille aussi : Ma vie de courgette. Dans ce film de Claude Barras, l’enfant orphelin se structure en s’appuyant sur deux objets. Le premier est un cerf-volant qu’il a fabriqué lui-même et sur lequel il a peint une figure de super-héros : comme il le dira à un policier qui l’interroge, cet objet EST véritablement son père, entendons par là qu’il ne le symbolise pas, mais l’incarne. Le second est une canette de bière vide emportée après le décès de sa mère alcoolique, qui en consommait de grandes quantités. De même que Kubo lutte contre les forces du mal avec trois cordes incarnant sa famille au complet, Courgette, qui n’a jamais connu son père et a perdu sa mère, se construit à l’aide d’objets qui en tiennent lieu.

Il arrive ainsi que la résilience s’étaye sur des objets. C’est un champ peu exploré encore. Mais ces deux superbes films d’animation s’en font l’écho.