Harry, un homme qui vous veut du bien – Le kiosque

par | 2010 | 2010, Chronique de Cinéma

Le kiosque

A propos du film :

Harry, un homme qui vous veut du bien

Par Serge Tisseron

 

Merveilleux film ! Quand l’intelligence d’un réalisateur se met au service d’une intuition psychologique forte et juste, on obtient Harry, un homme qui vous veut du bien !

Voyons d’abord le scénario : un jeune homme marié et père de trois petites filles rencontre un vieux camarade d’enfance qui l’invite à renouer avec ses tentatives d’écriture d’adolescence. Et l’ami « qui veut du bien » au jeune homme est persuadé que celui-ci a renoncé à tort à une vocation d’écrivain. Il se met en devoir d’aplanir toutes les difficultés que le jeune homme peut rencontrer, jusqu’à faire disparaître promptement ceux qui, dans sa famille, ne croient pas en lui, ou tout simplement, l’empêchent de travailler. Et tout donne à penser que cette « solution finale » apportée aux problèmes relationnels du jeune homme pourrait s’étendre bien au-delà du cercle familial…

Sur le plan psychologique il est tout aussi facile de résumer ce film : un jeune homme marié et père de trois petites filles part en vacances avec elles. Le véhicule est inconfortable, il fait chaud, le jeune homme maudit en secret les cris de ses filles la tension nerveuse de sa femme et l’inconfort d’un voyage qui l’assomme. C’est d’autant plus pénible qu’il doit aussi aller voir des parents qui l’ennuient, puis se rendre dans une maison de campagne où les réparations semblent sans fin. Bref, comment ne pourrait-il pas rêver d’une autre vie ? Il s’arrête au bord de l’autoroute dans une station service, va aux toilettes et là, au moment où il se regarde dans un miroir, surprise ! apparaît l’ami « qui lui veut du bien» ! Aussi jovial que lui-même est abattu, aussi gros que lui-même est maigre, et aussi bien habillé que lui l’est mal, ce « double » se présente comme un camarade d’enfance. Il propose bien sûr d’accompagner le jeune homme et sa famille et, bien sûr, le jeune homme accepte qu’il soit du voyage, et bientôt de la partie. Car ce double va incarner avec une efficacité redoutable les désirs inconscients réprimés du jeune garçon : l’ennui et la colère que font naître en lui ses parents aboutit à leur rapide disparition dans un « accident » ménagé par les soins du double. Le frère du jeune homme suit le même chemin. Pendant ce temps, le double fait tout pour que le jeune garçon puisse travailler et va même jusqu’à mettre à portée de sa main la créature pulpeuse et sensuelle qui l’accompagne partout. Mais le jeune garçon préfère finalement la création à la consommation sexuelle avec cette poupée adorable et manifestement douée, si on en croit le double, pour les choses de l’amour. Il s’ensuit une scène admirable dans laquelle le jeune homme hésite à séduire la jeune femme puis se détourne d’elle et contemple longuement, dans un réfrigérateur, quelques œufs dont la texture la rondeur et la fermeté évoquent extraordinairement la peau soyeuse et offerte de la belle créature. Le héros se met donc au travail et écrit enfin un texte – « Les œufs » – dont sa femme dira qu’il est très bon et devrait être suivi par d’autres. Le double pourtant ne l’entendra pas de cette oreille et le héros n’en aura pas absolument fini avec lui. Mais le dénouement montrera finalement le héros avoir parfaitement fait sienne la capacité de dédoublement que Harry, le double qui lui voulait du bien, avait montré tout au long du film. Quand Harry a finalement disparu (d’une façon qu’il serait fort malveillante pour ceux qui n’ont pas vu le film de dévoiler ici), le héros est devenu capable de mensonge et de dissimulation avec un naturel parfait. Il a appris à se dédoubler lui-même pour affronter le mensonge social. La dernière séquence le montre rentrant chez lui souriant avec sa femme et ses enfants apaisés dans une superbe voiture offerte par Harry, le tout au son d’une chanson allemande en vogue pendant la dernière guerre. Il y a décidément beaucoup de facilité à oublier les meurtres qu’on a commis pour son confort !

Mais ce bref résumé laisse de côté le point le plus important qui donne sa cohérence à l’ensemble de ce film. Comme dans les films d’Hitchcock, et particulièrement comme dans ses trois plus grands, Les oiseaux, Vertigo et Psychose, ce film met en effet en scène le pouvoir terriblement d’une mère et la difficultés pour un homme de se dégager de son emprise. Dans Harry, c’est l’agressivité terrible de la mère du jeune homme qui déclenche une crise de souffrance véritablement physique chez le double. Et c’est l’angoisse que la femme du héros se transforme en mère abusive et envahissante pour sa création qui le pousse à envisager son élimination. Il y a dans ce film un fil rouge qui imprègne chacun des plans : l’angoisse de l’homme pour la femme, entre animalité et maternité, pute et vierge, protection et étouffoir. Il est réconfortant de voir que les progrès importants accomplis par les femmes pour briser ces images et l’efficacité qu’elles rencontrent dans le domaine de leur situation sociale et économique, n’a rien tari de cette source féconde de fantasmes masculins. N’est-elle pas un des creusets les plus féconds de leur création, par la violence qu’ils mettent à vouloir échapper à ses angoisses ?